PARIS, 6 octobre 2016 (VCHR) – 54 organisations religieuses et de la société civile au Vietnam, aux Etats-Unis, en Europe et en Asie ont envoyé une Lettre Ouverte à la Présidente de la Assemblée Nationale vietnamienne, Mme Nguyen Thi Kim Ngan, appelant à la réécriture de l’actuel projet de loi sur la croyance et la religion qui doit être adopté par l’Assemblée Nationale lors de sa prochaine session (20 octobre-18 novembre 2016). Les signataires considèrent que la loi présente de nombreux défauts et appellent à une révision du texte en étroite collaboration avec les organisations religieuses et les experts internationaux « afin de s’assurer que la loi protège le droit à la liberté de religion ou de croyance conformément à l’article 18 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques (PIDCP) ».
« Cette loi, si elle était adoptée en l’état, mettra une camisole de force aux religions », a dit le Président du VCHR Vo Van Ai, un des co-parrains de la lettre. « Elle légalise l’ingérence du gouvernement dans tous les aspects de la vie religieuse et refuse l’existence même des organisations qui ne peuvent ou ne veulent pas s’enregistrer auprès de l’Etat. Ceci va à l’encontre du principe même de la liberté de religion ou de croyance garantie par le PIDCP dont le Vietnam est Etat partie ».
Selon les signataires, le projet de loi pose « des restrictions inacceptables au droit à la liberté de religion ou de croyance et aux autres droits de l’Homme » et est l’héritier « des lois et règlements antérieurs qui mettaient l’accent sur le contrôle et la gestion de la vie religieuse par le gouvernement, en contradiction avec l’esprit et le principe du droit à la liberté de religion ou de croyance ».
C’est la toute première fois que le Vietnam va adopter une loi sur la croyance et religion. Jusqu’à présent, les religions étaient soumises à une série d’ordonnances et de décrets. Depuis l’an dernier, les versions du projet de loi, qui circulent parmi certaines communautés religieuses invitées par le Comité du Gouvernement pour les Affaires Religieuses à faire des commentaires, ont provoqué de très vives critiques. Cependant, l’actuel projet de loi n’a pris aucun compte des préoccupations des communautés religieuses. En outre, en dehors de l’Eglise catholique qui a statut spécial au Vietnam, seuls les organismes religieux reconnus par l’Etat ou d’Etat ont été consultés, à l’exclusion des organisations indépendantes comme l’Eglise Bouddhique Unifiée du Vietnam (UBCV), les communautés non-reconnues protestantes, Cao Dai, Hoa Hao ou Bouddhistes Khmer Krom.
Lettre Ouverte
à l’attention de la Présidente de l’Assemblée Nationale du Vietnam
sur le projet vietnamien de loi sur la Croyance et la Religion
Mme Nguyen Thi Kim Ngan
Présidente de l’Assemblée Nationale du Vietnam
Rue Doc Lap, Quan Thanh
Ba Dinh, Hanoi
Madame la Présidente de l’Assemblée Nationale,
Nous, les organisations de la société civile soussignées, vous écrivons pour exprimer notre préoccupation concernant la proposition de loi sur la croyance et la religion au Vietnam. Le projet de texte, qui a été révisé à plusieurs reprises et a suscité de fortes critiques de la part de nombreuses communautés religieuses, doit être adopté par l’Assemblée Nationale lors de sa session d’octobre-novembre 2016.
Le texte le plus récent du projet a fait l’objet d’un débat lors d’une réunion de haut niveau du Front de la Patrie le 17 août, puis communiqué à certaines communautés religieuses pour commentaires. L’examen du texte du projet de loi, qui a été publié sur le site de l’Assemblée Nationale, montre que les 9 chapitres du projet contiennent quelques améliorations mais persistent à poser des restrictions inacceptables au droit à la liberté de religion ou de croyance et aux autres droits de l’Homme. En particulier, les garanties fondamentales du droit à la liberté de religion ou de croyance continuent d’être minées par de lourdes exigences d’enregistrement et une ingérence excessive de l’Etat dans les affaires internes des organisations religieuses. En fait, ce texte et ses précédentes versions sont les héritiers des lois et règlements antérieurs qui mettaient l’accent sur le contrôle et la gestion de la vie religieuse par le gouvernement, en contradiction avec l’esprit et le principe du droit à la liberté de religion ou de croyance.
Comme mentionné plus haut, le projet a été communiqué à certaines communautés religieuses pour commentaires. Mais un organisme catholique a critiqué le délai très court (du 18 au 30 août) accordé pour préparer ses observations sur le projet de loi (1). De plus, les groupes religieux indépendants non-enregistrés auprès du gouvernement, comme l’Eglise Bouddhique Unifiée du Vietnam, n’ont pas été consultés.
Quelques progrès bienvenus existent dans le projet de loi, dont les dispositions sur le droit de changer de religion en plus du droit de suivre ou de ne pas suivre une religion, du droit de certains détenus d’« utiliser des livres religieux et de manifester leur croyance ou leur religion », et du droit des organisations religieuses à participer à des activités comme l’éducation, la formation professionnelle, les soins médicaux, l’aide sociale et humanitaire.
Cependant, les recommandations suivantes, qui ont émergé de certaines préoccupations particulières exprimées par les communautés religieuses au Vietnam, sont partagées par les organisations signataires.
1. La définition d’une religion devrait être conforme à l’article 18 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques (PIDCP).
Dans le projet actuel, une organisation religieuse est définie comme « un groupe de personnes… qui est reconnu par le gouvernement » (nous soulignons) (article 2.13). Cela laisse les membres des organisations religieuses qui ne peuvent pas ou choisissent de ne pas s’enregistrer auprès des autorités dans un vide juridique, sans protection legale pour la conduite de leurs activités religieuses.
2. L’enregistrement auprès du gouvernement ne devrait pas être une condition préalable à l’exercice de la liberté de religion ou de croyance.
La procédure lourde et complexe d’enregistrement requiert l’approbation des autorités pour les activités religieuses, les opérations et les statuts de l’organisation. Les garanties prévues à l’article 18 PIDCP sont d’application directe et ne peuvent être conditionnées à des procédures nationales de notification, d’autorisation, de reconnaissance ou d’enregistrement.
3. Le loi ne doit pas autoriser les fonctionnaires à interférer arbitrairement dans les affaires internes des organisations religieuses.
Les dispositions de la loi permettent aux autorités d’interférer de manière excessive dans les décisions internes, les nominations, les formations, les enseignements et les programmes des organisations religieuses. Les limitations faites à la manifestation de la liberté de religion ou de croyance ne doivent jamais excéder l’objet ou le cadre de celles autorisées par l’article 18(3) du PIDCP. Comme le Rapporteur spécial de l’ONU sur la liberté de religion ou de croyance, le Dr. Heiner Bielefeldt, l’a dit après sa visite au Vietnam en 2014, « l’enregistrement doit être une opportunité offerte par l’Etat et non une exigence légale obligatoire ».
4. Les expressions ambiguës et potentiellement discriminatoires doivent être retirées.
Le projet de loi contient des expressions ambiguës comme « les belles valeurs culturelles traditionnelles » (article 10.1) ou « semer la division » (article 5.4), qui peuvent être utilisées pour discriminer les minorités ethniques et autochtones, les groupes indépendants et ceux dont la religion ou la croyance sont vues comme « étrangères » (article 2.12).
5. Les dispositions devraient établir des canaux légaux et des mécanismes pour permettre aux personnes de porter plainte dans le cas de violations alléguées du droit à la liberté de religion ou de croyance, et faire que ces plaintes soient examinées et traitées de manière indépendante.
Pour ces raisons, nous demandons très fermement que la loi soit amendée en consultation avec les représentants des communautés religieuses, y compris ceux des communautés religieuses non-reconnues, et les experts en droit international des droits de l’Homme, afin de s’assurer que la loi protège le droit à la liberté de religion ou de croyance conformément à l’article 18 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques.
Nous attendons avec impatience votre réaction sur cette importante question. Nous vous prions de bien vouloir d’envoyer votre réponse à la coordinatrice du VCHR Penelope Faulkner (penelope.faulkner@gmail.com) ou au coordinateur de CSW Benedict Rogers (benrogers@csw.org.uk).
Nous vous prions d’agréer, Madame la Présidente de l’Assemblée Nationale, l’assurance de notre très haute considération.
Co-parrains signataires
Benedict Rogers
East Asia Team Leader, Christian Solidarity Worldwide
Vo Van Ai
President, Vietnam Committee on Human Rights
Rafendi Djamin
Director of Southeast Asia and Pacific Programme, Amnesty International
Phil Robertson
Deputy Director, Asia Division, Human Rights Watch
Dimitris Christopoulos
President, FIDH
Nina Shea
Director, Hudson Institute Center for Religious Freedom
Hans Aage Gravaas
Secretary General, Stefanus Alliance International
Robert Hårdh
Executive Director, Civil Rights Defenders
Jostein Hole Kobbeltvedt
Executive Director, Rafto Foundation for Human Rights
Nguyen Dinh Thang
CEO & President, BPSOS
Autres signataires:
Joshua Cooper
Executive Director, Hawai’i Institute for Human Rights
Ven. Thich Thanh Quang
President, Executive Institute, Unified Buddhist Church of Vietnam
Lê Cong Cau
Chairman, Buddhist Youth Movement of Vietnam (GDPTVN)
Ven. Thich Huyen Viet
Chargé d’Affaires, Unified Buddhist Church of Vietnam Overseas
Nguyen Van Lia
The Traditional Hoa Hao Buddhist Bloc
Tran Ngoc Suong
The Popular Council of Cao Dai Religion
Charles Santiago MP
Chairperson, ASEAN Parliamentarians for Human Rights (APHR)
Professor the Lord Alton of Liverpool
Member, UK All-Party Parliamentary Group on International Religious Freedom or Belief
Daniel Calingaert
Acting President, Freedom House
John Edmundson
President, Agir Ensemble pour les Droits de l’Homme
Ann Buwalda
Executive Director, Jubilee Campaign USA
The 21st Century Wilberforce Initiative
Faith J. H. McDonnell
Director, Religious Liberty Program, The Institute on Religion and Democracy
Lilly Bliatout
President and Founder, Southeast Asia Monitor for Human Rights and Justice
Willy Fautré
Director, Human Rights Without Frontiers
Vu Quoc Dung
Executive Director
VETO! Human Rights Defenders‘ Network
Former US Congressman Joseph Cao
Chairman, Coalition for a Free and Democratic Vietnam
John Alles
Executive Director, Montagnard Assistance Project
Tony Tran
Chairman, Con Dau Parishioners Association
Katie Duong
Overseas Representative, Popular Council of Cao Dai Religion
Rong Nay
Chairman, Montagnard Human Rights Organization
Pastor A Ga
Representative, Montagnard Evangelical Church of Christ
Vũ Quốc Ngữ
CEO, Defend the Defenders
Huỳnh Thục Vy
Coordinator, Vietnamese Women for Human Rights
Lanney Tran
Chairwoman, Women for Human Rights in Vietnam
Nguyen Bac Truyen
Vietnamese Political and Religious Prisoners’ Friendship Association
Vietnam Independent Civil Society Organizations Network (VICSON)
Matteo Mecacci
President, International Campaign for Tibet
Bob Fu
Founder and President, China Aid
Human Rights in China (HRIC)
Han Dong-Feng
Executive Director, China Labour Bulletin
E-Ling Chiu
Secretary General, Taiwan Association for Human Rights
Commonwealth Human Rights Initiative, New Delhi
Adilur Rahman Khan
Secretary, Odhikar, Bangladesh
Alvin Jacobson
Amnesty International USA Group 56
Lexington, MA
Kathy Herbst
Amnesty International Group USA Group 524
Pittsburgh, PA
Michael De Dora
Director of Public Policy, Center for Inquiry
Sara Colm
Co-founder, Campaign to Abolish Torture in Vietnam
Isaac Six
Advocacy Director, International Christian Concern
Helen Ngo
Chairwoman, Committee for Religious Freedom in Vietnam
Nguyen Thanh Dung
Association for Promotion of Freedom of Religions and Beliefs
Vietnamese FoRB Roundtable
Khin Ohmar
Coordinator, Burma Partnership
Bjørn Engesland
Secretary General, Norwegian Helsinki Committee
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(1) Lettre au nom de la Conférence épiscopale du Vietnam, signée par l’évêque Peter Nguyen Van Kham, secrétaire général adjoint http://gpquinhon.org/qn/news/GIAO-HOI-VIET-NAM/Thu-cua-HDGMVN-gop-y-Du-thao-Luat-Tin-nguong-Ton-giao-5238/#.V9AIDzUSb55
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