Mesdames, Messieurs,
Tout d’abord, je souhaiterais remercier la Sous-Commission des Droits de l’Homme du Parlement Européen de nous avoir invités à nous exprimer aujourd’hui sur la situation des droits de l’Homme au Vietnam, d’autant plus que nous sommes arrivés à un moment crucial pour l’avenir du pays.
Le Vietnam traverse une très grave crise économique. Cette crise, c’est surtout et avant tout l’échec du « doi moi », cette politique d’ouverture économique et de fermeture politique. Une politique où le peuple vietnamien est à la fois une main d’œuvre corvéable et un ennemi.
En effet, jusque récemment, le Vietnam apparaissait comme un eldorado économique parfois plus intéressant que la Chine elle-même : La population sous contrôle fournissait une main d’œuvre à bas coût, servile et travailleuse ; le gouvernement promettait la stabilité politique et l’amélioration des droits des investisseurs.
Mais les chiffres de la croissance, extraordinaires sur le papier, ont fait place à un tigre de papier. En l’espace de quelques mois tout a dégringolé.
L’inflation a atteint 27% au mois de juillet dernier, le record en Asie
Le déficit commercial s’élève à 15 milliards de dollars US pour les 6 premiers mois de 2008. On arrivera sans doute à 25 milliards à la fin de l’année.
La bourse vietnamienne s’est effondrée de 55% depuis la fin 2007, la dévaluation de la monnaie vietnamienne menace et la Banque Asiatique de Développement voit poindre une crise financière comparable à celle qui a touché la Thaïlande en 1997.
Les premiers touchés, ce sont les pauvres qui ont à affronter une augmentation moyenne des prix alimentaires de 44,7%, mais plus de 72% pour la nourriture de base qu’est le riz.
Le gouvernement vietnamien lui-même commence à s’inquiéter : Au mois de mai 2008, le Premier Ministre Nguyen Tan Dung a annoncé que le nombre de familles souffrant de la faim avait doublé depuis un an, et la Ministre du Travail, des Invalides de guerre et des Affaires sociales Nguyen Thi Kim Ngan reconnaissait qu’environ « 13 million de personnes étaient gravement affectées par la hausse des prix, sans parler des 13 autres millions de pauvres et des dizaines de millions de personnes vivant au juste au dessus du seuil de pauvreté, y compris les minorités ethniques ».
Se profilent alors des émeutes de la faim qui ruineraient la promesse des autorités d’assurer la sacro-sainte « stabilité politique », ce sésame pour lequel le régime n’a de cesse de guerroyer contre son propre peuple, le réprimant plutôt que de régler les vrais problèmes.
Mais la « stabilité politique » est déjà mise à mal : Plus de 400 grèves ont éclaté depuis le début de l’année (contre 500 pour toute l’éannée 2007). Chaque fois ce sont des dizaines de milliers de salariés qui protestent contre les mauvaises conditions de travail et les salaires insuffisants. Le pouvoir, qui se dit « socialiste », intervient systématiquement contre les grévistes : Si le droit de grève a été reconnu, le gouvernement l’a interdit dans 54 secteurs jugés de « service public » ou importants pour l’économie nationale ou la défense, comme la poste, les transports publics, la banque… Il est en fait assez difficile de dire dans quel domaine la grève est permise. Pour renforcer le dispositif, un récent décret oblige les salariés à verser 3 mois de salaire à l’employeur si la grève est jugée illégale au regard du Code du Travail, donc à l’interdiction de faire grève…
Comme le syndicat unique et officiel défend plus le gouvernement que les employés, ceux-ci ont essayé de s’organiser mais les syndicats libres sont interdits au Vietnam : l’Organisation des Ouvriers et des Paysans Unis fondée l’an dernier a aussitôt été réprimé et ses membres arrêtés, harcelés et condamnés à de lourdes peines d’emprisonnement.
La répression est aussi la réponse aux doléances des paysans (qui représentent 75% de la force de travail) : Les « Victimes d’Injustices » (Dan Oan), ces paysans victimes des expropriations des terres et autres confiscations arbitraires viennent quotidiennement manifester pacifiquement devant les bâtiments publiques des grandes villes depuis plus de dix ans, espérant pouvoir rencontrer et remettre leurs doléances au gouvernement. On estime ainsi que 10% de la population de Hanoi sont des paysans sans terre et que 2 millions de plaintes attendent d’être traitées.
Comme pour le Secrétaire général du Parti Communiste Nong Duc Manh, il est « anormal que des gens manifestent avec des pancartes », les « Victimes d’Injustices » sont réprimés et harcelés par la police et, en 2005, un décret 38 a interdit les manifestations devant les bâtiments publics.
Mesdames, Messieurs,
Parallèlement à cette répression automatique à toute forme de contestation ou de simple plainte, le gouvernement vietnamien assure l’impunité d’une minorité dirigeante, le Parti Communiste et plus particulièrement les 200 familles dites des « capitalistes rouges » qui, selon les propres mots du haut-cadre et général Giap, « achètent des positions, le pouvoir, les diplômes, l’octroi des marchés publics pour ses propres entreprises, et qui s’achètent même leur sortie de prison ».
Pour ce faire, la presse est bâillonné : Les journalistes qui avaient révélé, en 2006, l’affaire de corruption PMU-18 ont été arrêtés en mai 2008, deux mois après la soudaine libération et tout aussi soudain blanchiment du principal accusé, le Vice-Ministre des Transports Nguyen Viet Tien. 7 autres journalistes ont vu leur carte de presse révoquée. En réalité, la principale conséquence de cette affaire a été la restriction de la liberté de la presse. La Loi sur la Presse prévoyait déjà le paiement de dommages-intérêts par les journalistes au profit des personnes mises en cause dans leurs articles, même si les faits étaient exacts. Le décret 56 de juillet 2006 y ajoutait des amendes et facilitait le retrait des cartes de presse contre les journalistes « diffamant » ou « attaquant » le prestige de l’Etat.
Toute la politique vietnamienne semble ainsi motivée par le maintien du pouvoir et des privilèges de cette minorité, aux dépens du développement durable et du peuple vietnamien. Le rejet par le Vietnam des droits de l’Homme, la censure et le contrôle de l’internet, le quadrillage de la population par les « policiers de secteur », la détention administrative et les hôpitaux psychiatriques pour les dissidents, les lois fourre-tout sur la « sécurité nationale », tout cela ne sert qu’à étouffer, contrôler et réprimer le peuple vietnamien.
En ces temps de crise aiguë, il est temps que les autorités vietnamiennes cessent cette guerre contre leur peuple, reconnaissent enfin que le peuple est ce qui est le plus précieux du pays, et par conséquent laissent s’exprimer et agir librement la société civile vietnamienne.
Le cas de l’Eglise Bouddhique Unifiée du Vietnam est très parlant : Suivie par la très grande majorité de la population, cette Eglise est réprimée et interdite pour avoir refusé de devenir une marionnette dans les mains du Parti Communiste en 1981. Elle est devenue le principal mouvement en faveur des droits de l’Homme et de la démocratie au Vietnam et reste le seul mouvement de la société civile après des décennies de totalitarisme. C’est pourquoi ses dignitaires et ses membres sont systématiquement harcelés, interrogés et détenus. Le Patriarche Thich Huyen Quang est mort le mois dernier à 89 ans en détention depuis plus de 26 ans. Son successeur, le Très Vénérable Thich Quang Do est lui-même détenu dans son Monastère Zen Thanh Minh à Saigon depuis aussi longtemps. Les 20 Comités provinciaux de l’Eglise Bouddhique Unifiée du Vietnam, fondés pour venir en aide aux paysans, sont systématiquement harcelé. Le bonze Thich Tri Khai s’est ainsi fait expulser de sa pagode, a été arrêté puis a disparu sans laisser de trace.
Au lieu de garantir le droit constitutionnel à la liberté religieuse, le gouvernement vietnamien a cherché à faire croire au respect de la liberté religieuse en organisant sur son sol la Journée Internationale du Vesak, c’est-à-dire la fête de la Naissance, de l’Eveil et de l’Extinction du Bouddha, en mai 2008. C’est avec ce genre de « gestes cosmétiques » que le régime vietnamien tente d’attirer la bienveillance et les capitaux occidentaux. Il excelle dans cet art.
Depuis des années, il accumule en effet les déclarations de bonne volonté pour engranger les investissements mais ne cède rien sur le contrôle totalitaire de sa population, sur l’Etat de droit ou les droits de l’Homme. Il serait temps que pour le développement durable du Vietnam, ce gouvernement s’attaque aux vrais problèmes et que l’Occident soit plus vigilant et moins complice.
Mesdames, Messieurs,
L’Accord de Coopération économique entre l’Union Européenne et le Vietnam de 1995 est en cours de re-négociation. Il est essentiel que cet Accord continue d’exiger du Vietnam le respect des droits de l’Homme et que l’Union Européenne y veille scrupuleusement. Il est en outre absolument nécessaire que l’Europe obtienne du gouvernement vietnamien la fin de l’oppression de son peuple, en particulier le Vietnam doit :
– Laisser participer la société civile au développement durable du pays et, par conséquent, rétablir le statut légal de l’Eglise Bouddhique Unifiée du Vietnam, seul mouvement structuré de la société civile ;
– Libérer touts les prisonniers de conscience, comme le Patriarche le l’Eglise Bouddhique Unifiée du Vietnam Thich Quang Do, les avocats Le Thi Cong Nhan et Nguyen Van Dai, etc. ;
– Lever toutes les restrictions à la liberté d’expression et de la presse contraire au droit international.
Vo Van Ai
Président
du Comité Vietnam pour la Défense des Droits de l’Homme (VCHR)
Porte-parole international
de l’Eglise Bouddhique Unifiée du Vietnam
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