PARIS, 25 novembre 2013 (VCHR) – Le premier geste du Vietnam après avoir obtenu un siège au Conseil des Droits de l’Homme de l’ONU pourrait être l’adoption d’une constitution révisée qui ruine les normes internationales relativers aux droits de l’Homme.
L’Assemblée Nationale vietnamienne est en train d’examiner la réforme de la Constitution de 1992 (déjà amendée en 2001) et devrait adopter les amendements durant sa présente session qui finit le 30 novembre 2013.
« Le peuple vietnamien espérait que la révision constitutionnelle mènerait à des réformes politiques » a dit Vo Van Ai, Président du Comité Vietnam pour la Défense des Droits de l’Homme. « Mais il semble que le Vietnam soit en train de revenir en arrière. Si l’Assemblée Nationale adoptait les amendements en l’état, la nouvelle Constitution consolidera non seulement le contrôle répressif du Parti Communiste, mais renforcera également les restrictions arbitraires et inadmissibles aux droits fondamentaux du peuple vietnamien ».
Tandis que l’ancienne Constitution contient une disposition déclarant formellement que les droits de l’Homme « sont respectés » (article 50), le nouveau projet prévoit que « les droits de l’Homme et du citoyen » peuvent être « restreints si nécessaire pour des raisons de défense nationale, de sécurité nationale, d’ordre et de sécurité sociaux, ou de morale et de santé de la communauté » (article 15 du projet). Étant donné le caractère très vague de la « sécurité nationale » dans les articles du Code pénal vietnamien, qui ont été régulièrement invoqués pour emprisonner des centaines de militants pro-démocratie, de blogueurs et de défenseurs des droits de l’Homme, dans le cadre de la répression contre la liberté d’expression depuis 2010, cet amendement est extrêmement gênant. Mais il y a pire.
L’article 16 du projet ajoute une nouvelle disposition qui déclare : « Chacun a le devoir de respecter les droits de autres ; il est interdit d’abuser des droits de l’Homme et du citoyen pour porter atteinte aux intérêts de l’État, du peuple ainsi qu’aux droits et intérêts légitimes d’autrui ». Si cet article était adopté, il annihilerait virtuellement toutes les garanties constitutionnelles des droits de l’Homme. Dans l’État à Parti unique vietnamien, où la police et le pouvoir judiciaire sont sous le contrôle du Parti Communiste, c’est le Parti qui décide ce qui constitue l’exercice « légitime » et ce qui constitue l’« abus » des droits de l’Homme.
Dans l’actuelle Constitution, seul l’article 70 sur le droit à la liberté de religion ou de croyance comporte une telle disposition en guise d’avertissement : « Il est interdit de profiter [de la liberté de croyance, de religion] pour agir contrairement à la loi et aux politiques de l’État ». Cette disposition a eu de très graves conséquences pour les religieux au Vietnam. Dans la mesure où l’article 70 garantit le droit « d’embrasser ou de ne pas embrasser une confession quelconque », ceux qui suivaient une religion ont été automatiquement jugés coupables de porter atteinte aux droits de ceux qui ne suivaient aucune religion. Ils risquaient alors jusqu’à 15 ans d’emprisonnement de par l’article 87 du Code pénal réprimant le fait de « saper la politique d’unité » et de « semer la division entre les religieux et les non-religieux ». Les membres de l’Église Bouddhique Unifiée du Vietnam (EBUV), ceux de la secte bouddhiste Hoa Hao, mais aussi et surtout les Montagnards chrétiens ont été condamnés à de lourdes peines d’emprisonnement sous l’empire de cette législation kafkaïenne, qui risque aujourd’hui de s’étendre à l’ensemble des autres droits constitutionnels.
En fait, le projet d’article 16 n’est que la copie conforme de l’article 258 du Code pénal, qui a été largement dénoncé par les blogueurs et les militants pro-démocratie au Vietnam. Avant l’élection du Vietnam au Conseil des Droits de l’Homme de l’ONU, un mouvement de blogueurs avaient dénoncé le recours à l’article 258 pour détenir les blogueurs Truong Duy Nhat, Pham Viet Dao, Dinh Nhat Uy et d’autres militants non-violents. Ils avaient appelé le Vietnam à abroger l’article 258 comme preuve de bonne volonté en tant que candidat au Conseil des Droits de l’Homme. Au lieu de considérer leur demande légitime, le Vietnam compte maintenant donner valeur constitutionnelle à cette disposition anti-droits de l’Homme.
Un autre amendement très inquiétant consiste à exclure de la Constitution la garantie pour chacun de ne pas être arrêté ou détenu arbitrairement. Alors que cette protection existe dans la version actuelle de la Constitution de 1992 (article 71 : « Personne ne peut être arrêté sans décision du Tribunal populaire, décision ou approbation du Parquet populaire, sauf en cas de flagrant délit. L’arrestation et la détention doivent s’effectuer conformément à la loi »), celle-ci a été tout bonnement retirée dans le projet de révision (voir le nouvel article 22). Dans la mesure où il s’agit d’un droit fondamental inscrit dans la Déclaration universelle des droits de l’Homme et dans le Pacte international relatif aux droits civils et politiques (PIDCP) auquel le Vietnam a accédé en 1982, il est extrêmement pertubant de voir le Vietnam vouloir l’abolir et retirer aux individus la protection constitutionnel contre les arrestations arbitraires.
Plus décevant encore pour les Vietnamiens est le cas de l’article 4, qui garantit le monopole politique du Parti Communiste du Vietnam. Cette disposition reste fermement inscrite dans le projet. Lors des débats publics sur la révision constitutionnelle, lancés par les autorités en janvier 2013, son cas a été le plus ardemment débattu. Pour la première fois, des pétitions en ligne, comme la « Proposition pour réformer la Constitution » et la « Déclaration des citoyens libres », ont drainé des milliers de signatures d’éminents vétérans du Parti Communiste, intellectuels, étudiants et blogueurs pour appeler à l’abrogation de l’article 4, l’adoption du pluralisme et l’instauration d’une démocratie multipartiste. Dans le nouveau projet, l’article 4 est non seulement maintenu mais également élargi, définissant le Parti Communiste non plus comme le « détachement d’avant-garde de la classe ouvrière » vietnamienne mais comme celui de tout le « peuple vietnamien ».
Le renforcement du contrôle du Parti Communiste sur l’armée et la police est également décelable dans le projet de Constitution révisée. Alors que l’article 45 de la Constitution de 1992 déclarait que « les forces armées populaires doivent être d’une fidélité absolue enver la Patrie et le peuple », le nouvel article 70 qui doit le remplacer exige qu’elles « montrent une loyauté absolue au Parti Communiste du Vietnam ». Ce projet reflète ainsi l’anxiété du Parti concernant sa fragilité dans le contexte global de changement politique et son besoin d’assurer la protection de son pouvoir par l’armée. Une des demandes clef des citoyens durant l’année passée avait justement été celle d’une « dépolitisation » des forces armées au Vietnam.
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