PALAIS DES NATIONS, GENÈVE – S’exprimant au nom de la Fédération Internationale des Ligues des Droits de l’Homme (FIDH), d’Agir Ensemble pour les Droits de l’Homme et du Comité Vietnam pour la Défense des Droits de l’Homme, M. Vo Van Ai, Président du Comité Vietnam et Vice-Président de la FIDH, vient de dénoncer devant la Commission des Droits de l’Homme de l’ONU l’institutionnalisation et la planification de la répression au Vietnam.
Il a révélé à la Commission des Droits de l’Homme des lettres dénonçant les services secrets militaires, connus sous le nom de « Département Général n°2 » ou DG2. Ces lettres sont l’œuvre d’anciens hauts dignitaires du Parti Communiste Vietnamien (PCV) parmi lesquels figurent le général Vo Nguyen Giap, vainqueur de Dien Bien Phu, le général Nguyen Nam Khanh, ancien membre du Comité Central du PCV, le général Dong Van Cong, ancien Commandant de l’Interzone 9 et 7, Pham Van Xo, ancien membre du Comité Central du PCV, Nguyen Tai, ancien Vice-Ministre de la Sécurité Publique, et bien d’autres.
Le DG2 est accusé par ces anciens hauts cadres, pour la plupart fondateurs du PCV, de mener des opérations de déstabilisation et de calomnies contre les membres les plus réformateurs du PCV (Vo Nguyen Giap, Vo Van Kiet, etc.) et de recourir à la torture et aux assassinats politiques pour arriver à ses fins. L’ancien général Nguyen Nam Khanh décrit ainsi le DG2 : Il « a des pouvoirs exorbitants et exerce des contrôles sans limites, il sabote la démocratie, mine l’unité interne et créé de profondes divisions et factions au sein du Parti. Le DG2 peut diffamer ou sanctionner qui il veut, infiltrer ses agents partout, mettre sur pied d’innombrables entreprises commerciales hasardeuses, prétexter de prétendues opérations « d’intelligence » pour dépenser des sommes extravagantes, fabriquer de fausses « unités spéciales » comme prétexte pour obtenir des fonds ».
« Loin de tenter de juguler ces services qui minent la promotion et la garantie des droits humains » et malgré les exactions du DG2, a déploré M. Ai, les autorités vietnamiennes ont confirmé et légalisé ses prérogatives et ses pouvoirs exorbitants par une Ordonnance de l’Assemblée Nationale de 1996 et un Décret du Premier Ministre de 1997 (décret 96/CP). Cette institutionnalisation des services et des méthodes de répression n’est pas un cas isolé : « Prétextant de l’établissement d’un Etat de droit, le gouvernement vietnamien inscrit depuis plusieurs années, dans ses lois, règlements et circulaires ses pratiques arbitraires de répression au service d’une minorité contre toute forme de divergence politique ou religieuse ».
M. Vo Van Ai a présenté à cet égard à la Commission des Droits de l’Homme des extraits d’un document secret du Parti Communiste vietnamien, dont le Comité Vietnam pour la Défense des Droits de l’Homme a pu obtenir un exemplaire. Ce manuel de 602 pages de l’Institut des Sciences de la Police de Hanoi et distribué à 1 million d’exemplaires à la Sécurité vietnamienne « détaille par le menu le plan gouvernemental pour démanteler les religions non-reconnues ». Mode d’emploi d’un « Bouddhisme à orientation socialiste », ce document explique en effet aux policiers la politique de persécutions religieuses visant au démantèlement des religions indépendantes, au premier chef l’Eglise Bouddhique Unifiée du Vietnam (EBUV, Eglise historique, interdite en 1981), ainsi que les manières de faire avec les religieux.
« Ce document secret, que le régime vietnamien cherche à dissimuler à tout prix, est la preuve irréfutable que derrière les belles paroles sur le respect par l’Etat-Parti vietnamien des libertés fondamentales, la politique véritable et constante depuis des décennies est celle de l’éradication de toute forme de divergence religieuse », a commenté M. Ai qui, dans son intervention orale, a dénoncé cet état de fait comme une « répression bien rôdée, planifiée et servie par un appareil d’Etat tentaculaire dont l’unique mission est d’anéantir les forces vives du pays », en particulier les religions qui « après 30 ans de totalitarisme, constituent les derniers vestiges de la société civile vietnamienne ».
M. Vo Van Ai a ainsi rappelé à la Commission que, sous prétexte d’une enquête pour « possession de secrets d’Etat », le Patriarche de l’EBUV Thich Huyen Quang et son second Thich Quang Do « sont toujours enfermés dans leurs pagodes, interdits de se déplacer et de pratiquer leur religion » et que les « membres de l’EBUV sont continuellement harcelés et emprisonnés ». Alors que la Commission des Droits de l’Homme poursuivait ses travaux, le Comité Vietnam pour la Défense des Droits de l’Homme a ainsi reçu une communication du bonze Thich Thien Minh, amnistié le 2 février 2005 après 26 ans de camps de rééducation, selon laquelle lui et son jeune frère, chez qui il habite, ont reçu d’innombrables menaces de mort par téléphone pour le dissuader d’avoir des contacts avec les organisations internationales de défense des droits de l’Homme, de dénoncer les atteintes aux droits humains, de décrire les conditions de détention dans les camps de rééducation et de donner les nom des prisonniers politiques qui y croupissent.
Loin d’être un cas isolé d’intimidation et de harcèlement, la situation de Thich Thien Minh est caractéristique de tous ceux qui au Vietnam veulent exercer légitimement et pacifiquement leurs libertés fondamentales : « Arrestations arbitraires, détentions tout aussi arbitraires, harcèlements policiers, intimidations et interrogatoires répétés sont d’ailleurs le lot quotidien de tous ceux qui, au Vietnam, exercent légitimement leur droit à la liberté de religion mais aussi et surtout d’expression et de presse » a dit M. Ai. Ainsi Hoang Minh Chinh, Nguyen Thanh Giang, Hoang Tien, Pham Que Duong ou Tran Khue, les cyberdissidents Pham Hong Son, Nguyen Khac Toan et Nguyen Vu Binh sont toujours incarcérés ou en détention administrative.
Enfin M. Vo Van Ai a également présenté un message audio clandestinement envoyé du Vietnam. Dans cet enregistrement, le plus éminent dissident bouddhiste Thich Quang Do s’adresse à la Commission des Droits de l’Homme pour dénoncer la politique de violation systématique de la liberté religieuse et des droits de l’Homme, et lui demander son aide pour faire entendre la voix des opprimés vietnamiens. C’est la première fois que Thich Quang Do réussit à envoyer un tel message.
La semaine dernière, la Sécurité avait arrêté le bonze de l’EBUV Thich Vien Phong au sortir du Monastère Zen Thanh Minh, où est assigné à résidence Thich Quang Do. Elle avait alors confisqué le message video qu’avait préparé Thich Quang Do et que Thich Vien Phong était chargé de faire sortir de la pagode. Malgré cet échec, l’EBUV a réussi à envoyer le même message en audio dans lequel Thich Quang Do réaffirme que l’EBUV continuera son combat pacifique pour la démocratie jusqu’au bout.
l Le même jour, la Vice-Président du Comité Vietnam pour la Défense des Droits de l’Homme, Penelope Faulkner, a présenté à la Commission des Droits de l’Homme la situation des persécutions religieuses à l’égard de l’EBUV et l’adoption de nouveaux textes répressifs et liberticides, en particulier le décret 38/2005/ND-CP du Premier Ministre du 18 mars 2005 sur les manifestations. Selon ce texte, le droit de manifester est soumis à un système de d’autorisation préalable, et les manifestations devant les bâtiments officiels, l’Assemblée Nationale et les lieux de conférence sont désormais interdites. Depuis de nombreuses années, les paysans victimes des confiscations des terres viennent manifester silencieusement et pacifiquement devant l’Assemblée Nationale, ce qui avait poussé le Secrétaire général Nong Duc Manh à déplorer que « le fait que des gens se rassemblent avec des pancartes est anormales. [La démocratie au Vietnam] est sur de nombreux points excessive ».