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“Rendez à César ce qui est à César” : Un cadre communiste de haut rang dénonce la politique du PCV de neutralisation de l’Eglise Bouddhique Unifiée du Vietnam – La position du vénérable Thich Tri Quang sur l’unification du Bouddhisme vietnamien

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PARIS, 7 juin 1995 – Le Comité Vietnam pour la Défense des Droits de l’Homme vient de recevoir un important dossier sur le Bouddhisme vietnamien qui apporte un éclairage nouveau sur la politique bouddhiste du Parti Communiste Vietnamien (PCV) et qui est dû à un de ses membres de longue date chargé des problèmes religieux. Ce document achevé il y a un an est parvenu au Comité avec ces mots “En offrande au Vesak de l’année 1995 [2539e anniversaire du Bouddha]” sans que l’on ait pu savoir si c’est son auteur, M. Do Trung Hieu, ou une autre personne qui l’a envoyé. Toutefois l’adresse de l’auteur y figure : 7D rue Phung Khac Khoan, 1er arrondissement, Ho Chi Minh Ville.

M. Do Trung Hieu, cryptonyme Muoi Anh, originaire de Quang Tri, a été, avant 1975, chef du Département Tri Tre (Mobilisation des intellectuels, des étudiants, des élèves) de la section de Saigon-Gia Dinh, sous les ordres directs de Tran Bach Dang. Nommé après 1975 chef principal de la “Mission d’Unification du Bouddhisme Vietnamien” par Xuan Thuy (1), puis confirmé par Nguyen Van Linh et Tran Quoc Hoan, il a joué un rôle de premier plan dans la politique de neutralisation du Bouddhisme vietnamien qui a notamment abouti, le 4 novembre 1981, à la création, à Hanoi, de l’Eglise Bouddhique d’Etat.

Ce document “Unification du Bouddhisme Vietnamien” comporte 50 pages (format A4) dactylographiées, et révèle la politique de neutralisation menée par le PCV depuis 1975 à l’encontre de l’Eglise Bouddhique Unifiée du Vietnam (EBUV), ainsi que les noms et rôles de tous les protagonistes, communistes et bouddhistes, de cette affaire.

l M. Hieu y dévoile les véritables objectifs du PCV, qui sont de neutraliser une Eglise, l’EBUV, perçue comme un concurrent de poids.

Ce document fait état de la constance de la position du PCV à l’égard des bouddhistes et de ses conséquences dans le Nord du Vietnam, où, grâce au Directive 20 élaboré par Tran Xuan Bach et signé en 1960 par le Premier Secrétaire Le Duan, Xuan Thuy pouvait se targuer devant l’auteur qu’“au Nord, les fidèles bouddhistes ont tous adhéré aux organisations de masse, [qu’]il n’y a plus que des vieillards qui […] vont célébrer le culte à la pagode” et que “les bonzes représentatifs sont rares”. En somme, les figures communistes du bouddhisme, tels l’incontournable vénérable Pham The Long et les vénérables Thien Hao et Minh Nguyet [tous membres du PCV, selon l’auteur], en dépit de leur notoriété officielle, n’ont que des compétences en matière de Bouddhisme qui “restent limitées” et “ne peuvent répondre aux besoins des fidèles”.

En revanche, et toujours selon M. Hieu, Xuan Thuy décrivait l’EBUV de la Pagode An Quang ainsi : “[elle] est une organisation religieuse nationale en même temps qu’une organisation à caractère socio-politique, ayant à son actif la grande masse des fidèles, une grande notoriété à l’étranger et des bonzes remarquables et talentueux” et par conséquent prévoyait que “si le processus d’unification se faisait selon la motion du Vénérable Don Hau qui prônait la dissolution du Comité de Liaison des Bouddhistes Patriotes (CLBP) et l’adhésion de l’Association Bouddhique Unifiée (ABU) (2) à l’Eglise Bouddhique Unifiée du Vietnam et que cette dernière prenait la direction, l’EBUV étendrait son influence sur tout le territoire national et non plus seulement au Sud comme ce fut le cas avant 1975”.

Dans ces conditions, Xuan Thuy craignait que “le Parti ne pourrait jamais mettre sa mainmise sur l’EBUV et qu’au contraire, l’EBUV deviendrait une énorme organisation religieuse populaire et avec sa grande masse de fidèles constituerait une pression permanente pour le Parti comme pour le gouvernement vietnamien”.

Or, comme l’explique M. Hieu, le véritable objectif du PCV et de son Département de Mobilisation des masses “est de transformer le Bouddhisme vietnamien en une association du peuple. D’un niveau plus bas que celui d’une association ordinaire car elle ne doit rassembler en son sein que des Bonzes et des Nonnes, mais pas de laïcs ; une simple structure supérieure dénuée de toute structure de base et qu’on va appeler « Association Bouddhiste Vietnamienne »”.

Le PCV dénie donc au Bouddhisme, et par conséquent à l’EBUV, par le biais de cette association, tout rôle social : “Ses activités doivent se cantonner uniquement à la célébration des cérémonies religieuses et à l’entretien du culte dans les pagodes. Il n’est pas question pour elle d’avoir une quelconque activité ayant des rapports avec le peuple et la société (…) Seules les pagodes seront autorisées à servir de sièges, quant à la masse populaire laïque bouddhiste, elle ne pourra jamais s’ériger en unités organiques de l’Eglise”.

l M. Hieu met en cause, dans le document, la mise en application de cette politique après 1975.

Dans la mesure où Xuan Thuy, et par là même les autorités communistes, reconnaissait que “tout ce que les Vénérables de l’Association Bouddhique Unifiée et du Comité de Liaison des Bouddhistes Patriotes peuvent faire ce serait de porter les serviettes de l’EBUV” et qu’“il suffirait au vénérable Thich Tri Quang d’un seul geste pour qu’ils soient tous happés dans sa manche”, une seule solution s’est imposée au PCV : fonder, le 4 novembre 1981, une Eglise Bouddhique d’Etat prétendant réunir tous les bouddhistes vietnamiens mais, en fait, concurrente de l’EBUV.

M. Hieu reconnaît qu’il s’agissait là d’une opération du seul PCV : “Des neuf organisations et sectes bouddhistes venues au Congrès, une relevait de l’EBUV et les huit autres, sous différentes étiquettes, nous appartenaient toutes et opéraient sous la direction directe du Parti. […] Si pour la sauvegarde des apparences, les vénérables sont chargés du problème de l’unification des bouddhistes, la mainmise du PCV, tout au long de ce processus d’unification, n’a jamais cessé d’être évidente pour transformer le Bouddhisme vietnamien en une organisation fantoche du Parti”.

Depuis 1975, le PCV, à défaut de supplanter l’EBUV sur un plan strictement religieux, tente de l’évincer physiquement par une sévère répression qui a provoqué des gestes de protestation tragiques, comme l’immolation de 12 bonzes et nonnes, le 2 novembre 1975, à la Pagode Duoc Su à Can Tho, et qui dure encore aujourd’hui, comme le montrent les événements de ces trois dernières années (arrestations de bonzes, de nonnes et de laïcs bouddhistes ; répression d’une manifestation spontanée de 40.000 bouddhistes à Hué, le 24 mai 1993 ; répression d’une mission humanitaire de l’EBUV pour les victimes des inondations dans le Delta du Mékong, en novembre 1994 ; arrestation, fin décembre 1994, du Patriarche Thich Huyen Quang et, début janvier 1995, du vénérable Thich Quang Do, Secrétaire général de l’EBUV…).

l M. Hieu révèle les prises de position de deux figures emblématiques de l’EBUV, feu le Patriarche Thich Don Hau et le vénérable Thich Tri Quang.

Emmené dans le maquis après l’Offensive du Têt en 1968, le Patriarche Thich Don Hau avait été transféré à Hanoi où il avait été nommé Conseiller du Gouvernement Révolutionnaire Provisoire du Sud Vietnam. Devenu, en 1976, député de l’Assemblée Nationale et Membre de la Direction du Comité Central du Front de la Patrie, il avait démissionné ensuite de tous ses titres et fonctions pour protester contre la politique répressive gouvernementale menée à l’encontre de l’EBUV. Selon M. Hieu, le Patriarche “a tenu ferme sa position jusqu’à sa mort” survenue le 23 avril 1992.

Cette position était, d’après M. Hieu, une franche et énergique opposition à la politique gouvernementale de neutralisation qui vise à instrumentaliser le Bouddhisme. L’auteur révèle ici que le Patriarche avait écrit une Pétition adressée à Le Duan, Ton Duc Thang, Truong Chinh et Pham Van Dong, “immédiatement après la libération [du Sud]” en 1975, et qu’en réponse “le Parti [avait réfuté] le projet de réunification du Bouddhisme du Vénérable Thich Don Hau et le [taxait] de mauvaises intentions contre le Parti et le Gouvernement Vietnamien”.

Le document de M. Do Trung Hieu permet, d’un autre côté, au vénérable Thich Tri Quang de rompre un silence de vingt ans durant lesquels il a refusé toute collaboration avec les autorités en place et toute participation au projet d’Unification bouddhiste élaboré par le PCV. En effet, M. Hieu rapporte les quatre conditions nécessaires, selon Thich Tri Quang, pour réaliser la réunification des bouddhistes vietnamiens :

1. “D’un point de vue religieux, unifier le Bouddhisme vietnamien signifie développer la principale essence du Bouddhisme à savoir la Connaissance, la Libération de l’Etre et le respect des méthodes monastiques de chaque école” tant celle du Hinayana (Petit Véhicule) que celle du Mahayana (Grand Véhicule) qui se pratiquent au Vietnam.

2. “D’un point de vue de l’organisation, unifier le Bouddhisme vietnamien signifie instaurer une seule institution ayant une existence morale et juridique tant à l’intérieur qu’à l’extérieur”. Les structures locales et “les diverses écoles garderont leurs propres méthodes monastiques” dans le respect des directives de cette institution.

3. “D’un point de vue social, unifier le Bouddhisme vietnamien signifie que toutes les activités sociales bouddhistes se feront sous l’égide de l’Eglise Centrale, une Eglise indépendante dont la ligne doctrinale doit être fidèle aux préceptes du Bouddha”.

4. “Sur le plan du personnel, unifier le Bouddhisme vietnamien signifie donner à l’Eglise la liberté de nommer ses chefs spirituels de manière équitable, sans complaisancre pour qui que ce soit, ni pression politique […]. Les chefs spirituels du Sangha [communauté des bonzes et nonnes] doivent être choisis sur la base de leur seule autorité spirituelle et morale, et leur nomination doit être approuvée par l’ensemble du Sangha Bouddhique ainsi que par tous les fidèles du pays”.

Compte tenu de la vision qu’a le PCV de l’EBUV et du vénérable Thich Tri Quang, le PCV a rejeté ces points de vue et continué la répression. En effet, le vénérable Thich Tri Quang est perçu comme un adversaire redoutable du Parti, comme le montre M. Hieu en rapportant l’aveu de Muoi Ut (cryptonyme de Nguyen Van Linh) à Tu Anh (cryptonyme de Tran Bach Dang) : “Le Front National de Libération (FNL) n’a jamais perdu devant quiconque. Il a été, cependant, battu trois fois de suite par Thich Tri Quang. Ces trois fois-là, Thich Tri Quang a, de manière très subtile, sauvé les Américains et les fantoches (sic)”.

Nguyen Van Linh faisait référence aux trois campagnes bouddhistes qu’avait lancées le vénérable Thich Tri Quang, en 1964 et 1965, que les communistes ont interprétées comme visant à les contrecarrer.

Ainsi, “en 1964, il y a eu de grandes inondations dans le Centre. Les combattants du Front étaient prêts à démanteler les postes de garde des fantoches. Sur ce, le vénérable Thich Tri Quang lança le slogan “Mission d’Aide de l’Église Bouddhique Unifiée du Vietnam”. Le drapeau aux cinq couleurs bouddhistes flottant sur les canots, bateaux, hélicoptères a permis de sauver les soldats fantoches”.

Ensuite, “durant cette même année 1964, le peuple s’était révolté contre les autorités fantoches. Contre celles-ci, le FNL a lancé des slogans afin d’émuler ces mouvements urbains. Sur ce, le vénérable Thich Tri Quang a créé le “Conseil Populaire de Salut du Centre [Vietnam]” et exigé un gouvernement civil, attirant à lui toute la population et éclipsant totalement nos slogans”.

Enfin, “en 1965, l’armée américaine [ayant] envahi cyniquement le Sud Vietnam, le FNL a poussé son mouvement de guerre révolutionnaire contre l’impérialisme américain, sur ce le vénérable Thich Tri Quang a lancé l’opération « Prière pour la Paix », rendant réductrice [la] guerre anti-américaine [du FNL]”.

l M. Hieu évoque son désarroi en tant que communiste et lance un avertissement au Secrétariat du Parti pour qu’il soit plus soucieux de l’intérêt de la Nation.

M. Hieu apporte son propre avis sur le PCV : “Le Politburo est une collectivité dans laquelle chacun-agit-selon-ses-idées d’après les directives du Secrétaire Général. Le Secrétariat du Parti est aussi une autre collectivité dans laquelle chacun-est-caïd-dans-son-domaine d’après les ordres du Secrétaire Général et le Secrétaire Général est le centralisme démocratique. Un régime dictatorial et féodal de la pire espèce”, mais apporte aussi d’autres points de vue, tel celui de M. Nguyen Quang Huy, cadre chargé de la mobilisation des masses et des affaires religieuses au Nord, qui se montre plus amer : “Ce Parti n’est pas le nôtre, c’est leur Parti et le leur seulement, même si nous en sommes membres. Tous les membres que nous sommes, nous ne sommes que des pions à leur service”.

En conclusion, M. Do Trung Hieu estime que si le PCV a mené à la faillite économique, ceci n’est rien en comparaison des fractures qu’il peut causer dans le domaine religieux et en appelle, dans l’intérêt de la Nation, au désengagement du PCV des affaires religieuses du pays : “Lorsqu’on est directeur d’une entreprise qui accuse des pertes se chiffrant à des milliards de dông, cela donne des soucis mais vous pourrez vous engager à combler les pertes. Mais dans ce domaine [religieux], une simple erreur engendre la souffrance de millions de gens, surtout ceux qui sont détenus, morts en prison ou en déportation. Rien ne peut combler ces pertes ni réparer ces erreurs. Je vous demande de bien réfléchir, d’élaborer un projet conforme aux aspirations du peuple sur le principe RENDONS A CESAR CE QUI EST A CESAR […] Vous ne devez plus entreprendre d’actions nuisibles à la Nation, ayant engendré de la souffrance aux masses des fidèles. Pour toujours, vous en porterez et la responsabilité et les conséquences”.


(1) Chef de la Délégation de Hanoi à la Conférence de Paris à la fin des années 60, Secrétaire du Comité Central du PCV, Chef du Département de Mobilisation des Masses et du Front de la Patrie, Secrétaire du Parti et des Organisations des Masses du Comité Central du Front de la Patrie.
(2) L’ABU réunissait les bouddhistes communistes au nord Vietnam, tandis que le CLBP réunissaient ceux au Sud Vietnam.

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