GENEVE, 20 juin 2006 – Alors que la toute première session du Conseil des Droits de l’Homme de l’ONU s’est ouverte le 19 juin 2006, M. Vo Van Ai, Président du Comité Vietnam pour la Défense des Droits de l’Homme et Vice-Président de la FIDH, a écrit au Secrétaire général de l’ONU Kofi Annan, au Haut-Commissaire aux droits de l’Homme de l’ONU Louise Arbour et au Président du Conseil des Droits de l’Homme Luis Alfonso de Alba pour attirer leur attention sur les violations très graves des droits de l’Homme au Vietnam qui constituent “une véritable balafre sur la face du monde”.
M. Vo Van Ai a demandé à ce que les violations des droits de l’Homme au Vietnam soient traitées en priorité par le Conseil des Droits de l’Homme de l’ONU puisque le gouvernement vietnamien “cherche à devenir un membre normal de la communauté internationale en faisant fi de tout respect des droits de l’Homme”.
Cette lettre est accompagné d’un document intitulé “2006 : Graves violations des droits de l’Homme au Vietnam” où est dénoncée dans le détail “la politique vietnamienne alliant absence de dialogue avec les mécanismes de protection des droits de l’Homme de l’ONU et violation systématique des droits fondamentaux des citoyens vietnamiens” (voir le texte intégral).
Ce document met en évidence les exactions planifiées en haut lieu du régime vietnamien et le gel par les autorités vietnamiennes de tout dialogue sur les droits de l’Homme avec les Nations Unies. Il n’est en effet plus question de recevoir la visite des Rapporteurs Spéciaux (liberté d’expression, liberté religieuse) ou du Groupe de travail sur la détention arbitraire depuis la visite du Pr Abdelfattah Amor, alors Rapporteur Spécial sur l’intolérance religieuse, en 1998, qui avait vivement critiqué la situation des droits de l’Homme au Vietnam ainsi que l’accueil qu’on lui avait réservé. En outre, le Vietnam n’informe plus l’ONU de sa mise en œuvre des traités sur les droits fondamentaux qu’il a ratifiés. Exemple le plus frappant, il n’a toujours pas remis son rapport périodique de suivi (prévu tous les 2 ans) concernant le le Pacte international relatif aux droits sociaux, économiques et culturels, attendu depuis 1995. Enfin, concernant le Pacte international relatif aux droits civils et politiques, non seulement le gouvernement vietnamien ne tient aucun compte des recommandations et des demandes du Comité des Droits de l’Homme mais paraît en prendre l’exact contrepied en “légalisant” les pratiques les plus arbitraires et en continuant à opprimer son propre peuple.
l Ainsi, à la veille de la première session du Conseil des Droits de l’Homme, où le Vietnam doit s’exprimer aujourd’hui, le gouvernement vietnamien a adopté un décret 26/2006/ND-CP sur les “sanctions administratives dans le domaine de la culture et de l’information” (signé le 6 juin 2006, entrera en vigueur le 1er juillet 2006). Ce texte, qui permet de sanctionner les comportements que le code pénal ne peut appréhender, punit d’amendes exorbitantes, jusqu’à 30 millions de dongs (2000 dollars US, soit 7,5 fois fois le salaire moyen annuel d’un ouvrier), la diffusion par tous moyens (internet, radio, imprimés, etc.) d’informations à “contenu nocif”. La nocivité est appréciée par les autorités locales et la police selon leur bon vouloir.
L’article 17 du décret porte spécifiquement sur l’internet et met en place un quasi régime d’autorisation préalable pour la navigation sur internet ou l’envoi de courriers électroniques puisque les clients des cybercafés devront informer, sous peine d’amende, le propriétaire de l’établissement (lui-même responsable) du contenu de ce qu’ils consulteront, enverront ou mettront sur leurs sites Web par le biais d’internet sous peine d’amende. Parallèlement, les autorités vietnamiennes lanceront dès le 1 er juillet 2006, pour 3 mois, une vaste campagne de contrôle des fournisseurs d’accès, cybercafés, hôtels, et tout autre lieu offrant un accès à internet.
L’article 21 du décret porte sur les journalistes et restreint considérablement leur liberté d’expression, puisqu’il leur interdit de recourir à des “sources anonymes” et soumet leurs articles à la censure des personnes qu’ils interviewent. La divulgation de “secrets d’Etat ou du Parti” au sens le plus large et la dissémination de “l’idéologie réactionnaire” sont très sévèrement punies (30 millions de dongs d’amende). L’adoption de ce décret suit de quelques mois les scandales de corruption touchant les plus hautes sphères de l’Etat et du Parti ainsi que la demande subséquente du Premier Ministre Phan Van Khai de punir les agences de presse et les journalistes qui avaient mis à jour ces scandales.
l Tandis que les autorités vietnamiennes se refusent à fournir les informations que le Comité des Droits de l’Homme de l’ONU avait réclamées en 2002 sur les prisons et les camps vietnamiens, le Comité Vietnam pour la Défense des Droits de l’Homme a rendu publique l’existence de deux listes de prisonniers politiques. La première est due à Nguyen Khac Toan, condamné en 2002 à 12 ans d’emprisonnement mais amnistié en 2006 grâce à la pression internationale, qui dénombre, dans un document daté du 12 mai 2006, pas moins de 241 prisonniers politique dans une seule section de la Prison Ba Sao à Nam Ha (nord du Vietnam), dont 225 Montagnards protestants, arrêtés en 2001 et 2004.
La seconde liste est celle de Thich Thien Minh, libéré en 2005 après 26 ans de détention arbitraire en camp, qui fournit 66 noms de prisonniers de conscience (certains très âgés) détenus dans le camp Z30A à Xuan Loc, province de Dong Nai (sud du Vietnam) depuis des décennies dans des conditions inhumaines.
l Enfin, le double langage du gouvernement vietnamien est particulièrement flagrant dans le domaine religieux où est mis en avant une simple et ostensible liberté de culte, tandis que la véritable liberté religieuse est durement et sans cesse réprimée. Bien que déclarés “totalement libres”, le Patriarche de l’Eglise Bouddhique Unifiée du Vietnam (EBUV, Eglise historique, indépendante, interdite depuis 1981) Thich Huyen Quang et son adjoint Thich Quang Do sont assignés à résidence et ne peuvent quitter leurs pagodes sans être aussitôt ramenés de force par les policiers. Ils ont été reconnus victimes de détention arbitraire par le Groupe de travail de l’ONU sur la détention arbitraire en 2005 (avis 18/2005). Parallèlement, les membres des Comités représentatifs fondés par l’EBUV dans 13 provinces pour guider les activités spirituelles et porter assistance aux habitants pauvres, sont systématiquement harcelés, menacés, interrogés, molestés pour qu’ils démissionnent de leurs postes et quittent l’EBUV : Il en est ainsi de Thich Chon Tam (province de An Giang), Thich Thien Minh (Bac Lieu), Thich Tam Lien (Binh Dinh), Thich Nhat Ban (Dong Nai), Thich Vinh Phuoc (Ba Ria-Vung Tau), Thich Thanh Quang (Da Nang), Thich Thien Hanh (Hue), Thich Vien Dinh et Thich Khong Tanh (Ho Chi Minh Ville), et de la nonne Thich Nu Thong Man expulsée de la pagode Pagode Dich Quang (Khanh Hoa), le 1er juin 2006…
Dans ces conditions, l’offre du gouvernement vietnamien de restaurer le statut légal de l’EBUV à la condition que cette Eglise change de nom et que le Patriarche Thich Huyen Quang et son adjoint Thich Quang Do en soient exclus, se révèle n’être qu’une manœuvre visant à faire de l’EBUV une coquille vide et à faire retirer le Vietnam de la liste des “pays particulièrement préoccupant” (CPC) en matière de liberté religieuse du Département d’Etat américain.