Vo Van Ai
Porte-parole de l’Eglise Bouddhique Unifiée du Vietnam
Président de Quê Me : Action pour la Démocratie au Vietnam
Symposium « Laïcité et religion contre le fondamentalisme »
Bruxelles, 28 août 2008
Mesdames, Messieurs,
Le Bouddhisme n’est pas une religion au sens où on l’entend en Occident, il s’agit bien plutôt d’un principe de vie fondé sur la connaissance ultime (ou prajna) et la compassion (ou karuna). Il s’agit d’atteindre la connaissance ultime pour sauver les gens de l’ignorance, de la souffrance et de l’oppression.
Le Bouddhisme s’est d’abord développé sous sa forme Theravada ou Petit Véhicule, où l’enseignement du Bouddha était mis en pratique par les seuls bonzes.
Puis, du IIIe siècle avant JC au Ier siècle après J.C., s’est développé la forme Mahayana ou Grand Véhicule, avec comme texte primordial, le sutra du Lotus ou Saddharmapundarika (au Ier siècle après J.C.). Le rôle des laïcs prend de l’importance et l’on voit apparaître la figure légendaire et vivante du Bodhisattva. Le Bodhisattva est le modèle de l’homme ou femme d’action qui s’engage pour la société : Il a atteint l’état de Bouddha mais y renonce et revient dans le monde pour sauver les êtres vivants. Toutes sortes de Bodhisattva apparaissent. Parmi eux, entre autre :
– le Bodhisattva Avalokitéshvara qui a fait vœu d’être à l’écoute de la souffrance du monde et de revêtir 33 formes différentes et adaptées à la situation pour sauver les gens qui l’appellent.
– Quant au Bodhisattva Ksitigarbha, il s’est engagé à demeurer en enfer tant que des gens s’y trouveront. Par enfer, il ne faut pas seulement comprendre le pendant du paradis, mais toutes les situations horribles de l’existence comme la guerre, le fascisme, le totalitarisme, etc..
Au Vietnam, les enseignements du Bouddha ont été appliqués avec une vigueur particulière et tous les bonzes s’engagent pour la société, comme aujourd’hui Thich Quang Do, nouveau Patriarche de l’Eglise Bouddhique Unifiée du Vietnam.
La tradition vietnamienne d’engagement de tous est inscrite dans les sutras bouddhiques vietnamiens comme le « Luc Do Tap Kinh » (Livre des Six Voies de Libération) qui, dès le IIème siècle apr. J.C., définit la vision bouddhique du « politique » au travers de l’engagement individuel : « [Chacun doit se dire] que si le peuple est malheureux, c’est de ma faute » ou « lorsque le Bodhisattva entend les pleurs de son peuple, il doit mettre de côté ses propres problèmes et s’engager dans la lutte contre la tyrannie pour sauver le peuple de la souffrance ».
En pratique, le Bouddhisme vietnamien procède d’une vision dynamique des « Pañca-Sila » ou Cinq Préceptes, sorte d’équivalent des Dix Commandements.
Les Cinq Préceptes comprennent l’engagement de :
– s’abstenir de tuer (détruire la vie),
– s’abstenir de voler (prendre ce qui n’est pas offert),
– s’abstenir d’avoir un comportement sexuel non-consensuel (comme le viol, l’exploitation sexuelle…),
– s’abstenir de mentir ou injurier (mensonges, diffamation, rumeurs…),
– s’abstenir de se droguer (qui conduisent à la dépendance et la mauvaise santé mentale).
Mais pour les Bouddhistes au Vietnam, la question n’est pas seulement de s’abstenir passivement. Derrière l’engagement de ne pas tuer, il y a l’engagement d’empêcher que soit perpétré le meurtre. Comme le Mahatma Gandhi le disait, si un fou armé d’un couteau s’en prend à quelqu’un, nous ne devons pas chercher à tuer le fou mais à lui retirer le couteau des mains.
Ainsi s’étant engagés à ne pas tuer, les Bouddhistes ne peuvent que s’opposer à un régime arbitraire qui tue ses propres citoyens.
S’étant engagés à ne pas voler, ils ne peuvent que s’élèver pour défendre les droits du peuple lorsque l’Etat dépouille son peuple de ses terres, de sa liberté et de son identité.
S’étant engagés à s’abstenir de tout comportement sexuel non-consensuel, ils ne peuvent que défier le gouvernement lorsque les cadres corrompus du Parti Communiste et les policiers s’adonnent à la traite des jeunes filles pour les prostituer et les traiter pire que des animaux.
S’étant engagés à ne pas mentir, ils ne peuvent que se lancer dans la bataille pour la liberté d’expression et de la presse, lorsque le régime de Hanoi publie de fausses informations, réprime la liberté d’expression, bâillonne la presse et emprisonne ceux qui disent la vérité…
S’étant engagés à ne pas se droguer, ils ne peuvent que tendre la main aux victimes des « maux sociaux » (drogués, malades du SIDA, prostituées, enfants des rues, etc.), lorsque les caciques du régime les jettent dans des centres de réhabilitation aux allures de camps pénitenciers, quand ils n’ont pas favorisé eux-mêmes à ces maux sociaux.
Au cours de l’Histoire vietnamienne, le début, il y a 2000 ans, les Bouddhistes vietnamiens se sont joints à la lutte pour l’indépendance contre les Chinois. Sous les dynasties Ly et Tran du XIe au XIIIe siècles, les bonzes s’engagent pour la société. Le résultat atteint, ils retournent dans leurs pagodes. Les bonzes ressortiront des pagodes pour lutter contre la discrimination religieuse en 1963 et depuis 1975 contre l’oppression du régime communiste de Hanoi.
Par ailleurs, les sutras vietnamiens dès le IIIe siècle promeuvent aussi un engagement total des laïcs contre toutes les formes d’oppression : politique, militaire, idéologique, etc.. Le rôle des laïcs ne fait alors que croître. A l’époque de la première secte zen vietnamienne, au VIIe siècle, seuls les Bonzes atteignent l’Eveil. A partir du IXe siècle, les laïcs aussi atteignent l’Eveil à hauteur de 13% dans cette secte. Au XIe siècle, la proportion est montée à 50%.
Mesdames, Messieurs,
La démocratie n’est pas étrangère au Bouddhisme. Bien au contraire, elle se trouve aux racines même des enseignements du Bouddha prononcés il y a plus de 2500 ans.
Le Livre des Six Voies de la Libération (Luc Do Tap Kinh, IIe siècle après J.C.), avec sa vision bouddhiste de la société idéale, a posé les jalons d’une société démocratique avec des concepts très modernes comme la protection de l’environnement, l’égalité sociale, la promotion de l’éducation pour tous. Il a aussi défini l’esprit bouddhique de libération, qui comprend la lutte contre l’obscurantisme (libération de l’ignorance) et l’injustice sociale (libération de la souffrance) et la lutte pour l’indépendance nationale (libération de l’occupation étrangère — pas seulement l’occupation du territoire vietnamien, mais également l’occupation des esprits par des idéologies étrangères imposées).
Mais la démocratie bouddhique découle surtout des « Six Harmonies » (Luc Hoa en vietnamien), ou principes pour maintenir l’harmonie et la compréhension mutuelle au sein de la communauté bouddhique. Pratiqués par le Sangha (communauté des bonzes et nonnes) et les laïcs, les Six Harmonies sont : « Vivre ensemble comme un groupe ; parler sans conflit ; partager le même point de vue (atteindre le consensus au sein du groupe) ; observer les mêmes préceptes ; ressentir la joie dans le Dharma ; partager (les biens matériels). Il s’agit en fait des règles de base de la vie démocratique fondée sur le respect mutuel. C’est ce que j’appellerais la « démocratie du partage ». Elle est complémentaire, et non opposée, au concept occidental de la « démocratie de l’expression » fondée sur le suffrage et la voix individuelle.
C’est l’interprétation positive des enseignements du Bouddha par l’Eglise Bouddhique Unifiée du Vietnam qui permet d’expliquer la détermination du régime de Hanoi à vouloir détruire cette Eglise. L’engagement des Bouddhistes, fondé sur la compassion et la connaissance ultime, est en effet en parfaite opposition avec l’idéologie de lutte des classes du Parti Communiste Vietnamien, basée sur la haine et la violence.
Et c’est parce que les Communistes ne cherchent qu’à conserver leur pouvoir et leurs privilèges qu’ils ne voient dans l’action des Bouddhistes que des manœuvres politiciennes alors que l’EBUV et son Patriarche Thich Quang Do, comme les laïcs bouddhistes, montrent une action sinon une attitude politique digne de tous ceux que le bien du monde préoccupe le plus profondément.
Mesdames, Messieurs, je vous remercie de votre attention.