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En préparation de la 10ème session du Plenum du Comité Central du PCV : Un vétéran de haut-rang du Parti Communiste dénonce les pouvoirs excessifs des services secrets militaires de Hanoi et révèle les schismes au sein des dirigeants du Parti

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Le Comité Vietnam pour la Défense des Droits de l’Homme a obtenu une copie d’une lettre envoyée par un vétéran militaire de haut-rang aux dirigeants du Parti Communiste Vietnamien (PCV) qui apporte un éclairage nouveau sur les activités des services secrets militaires du PCV et expose les profonds schismes au sein des dirigeants du PCV. Les révélations de cette lettre sont particulièrement significatives dans la mesure où son auteur, le Major-général à la retraite Nguyen Nam Khanh, ancien membre du Comité Central du PCV et du Comité Central Militaire du Parti, a occupé de nombreux postes clef au sein du PCV et de l’Armée Populaire. Natif de la province de Quang Ngai, Nguyen Nam Khanh a été Directeur-adjoint du Département de la Propagande et de la Formation du PCV, Commandant politique de la 5ème Région Militaire, Directeur-adjoint et Secrétaire général du Département Général Politique de l’Armée Populaire.

Nguyen Nam KhanhNguyen Nam Khanh a adressé sa lettre en date du 17 juin 2004 au Secrétaire Général Nong Duc Manh, au Politburo et au Comité Central de Contrôle du PCV, les pressant de soulever ces « questions extrêmement sérieuses » lors de la 10ème session du Comité Central du PCV, à Hanoi, au mois de juillet 2004. Les graves abus de pouvoir des services secrets militaires sont bien connus du Politburo, dit-il, mais « ces crimes n’ont jamais été élucidés et certains des plus hauts dirigeants [impliqués] n’ont jamais été sanctionnés… La situation cause une grande préoccupation parmi les membres du Parti au sujet de la transparence de notre Parti ».

La Sécurité de Hanoi a reçu des ordres très stricts pour empêcher que la lettre du Major-Général Khanh ne soit divulguée au public ou à l’étranger. Le 10 juillet dernier, la Sécurité a ainsi effectué une descente au domicile de Le Hong Ha (62 rue Ngo Quyen, à Hanoi) pendant plus de quatre heures, mais est restée bredouille. Le Hong Ha, 78 ans, ancien directeur du tout puissant appareil de sécurité du PCV et membre du Parti depuis plus de 60 ans, est devenu une des voix critiques du PCV à la fin des années 1980 et, depuis, est sous la surveillance étroite de la police. Toujours à Hanoi, un autre vétéran, Tran Dai Son, membre du Parti depuis 54 ans, a dénoncé la descente de police chez Le Hong Ha dans une lettre en date du 20 juillet 2004. En dépit des contrôles tatillons de la police, la lettre de Nguyen Nam Khanh a tout de même pu sortir clandestinement du pays.

Cette lettre de 13 pages dénonce les pouvoirs sans bornes et les exactions du « Département Général N°2 » (DG2), les services secrets militaires du PCV, incluant les « calomnies, intimidations, tortures, assassinats politiques », et leurs effets dévastateurs sur la direction du Parti. Selon Nguyen Nam Khanh, le DG2 use de ses pouvoirs pour soutenir ou renverser les différentes factions au sein du Parti Communiste, faisant circuler ses « Bulletins d’Informations » qui insinuent l’existence de liens entre la CIA et des hauts-cadres comme Vo Nguyen Giap, Mai Chi Tho, Vo Van Kiet, Phan Van Khai, etc. et qui accusent d’autres de corruption ou de connivence avec la mafia (cas de Nong Duc Manh).

Le DG2 « a des pouvoirs exorbitants et exerce des contrôles sans limites, il sabote la démocratie, mine l’unité interne et créé de profondes divisions et factions au sein du Parti. Le DG2 peut diffamer ou sanctionner qui il veut, infiltrer ses agents partout, mettre sur pied d’innombrables entreprises commerciales hasardeuses, prétexter de prétendues opérations « d’intelligence » pour dépenser des sommes extravagantes, fabriquer de fausses « unités spéciales » comme prétexte pour obtenir des fonds ». Par exemple, dit-il, au moins 81.000 dollars US ont été payés pour un « agent spécial » du nom de T4 qui avait prétendument infiltré la CIA. L’on a découvert par la suite qu’il s’agissait d’une pure invention du DG2.

A la question de savoir comment il est possible qu’une agence de services secrets militaires, un organe subsidiaire du Ministère de la Défense, puisse agir ainsi en toute impunité, Nguyen Nam Khanh indique que le DG2 est « couvert » par la législation d’Etat qui lui donne le pouvoir de mener ses campagnes de subversion en toute légalité.

Il explique ainsi que le DG2 (originellement connu sous le nom de « Département N°2 ») a exercé de facto ses prérogatives exorbitantes pendant au moins deux décennies, mais en 1996-97, les autorités communistes ont « légalisé » ses pouvoirs en adoptant une « Ordonnance sur les Services de Renseignement », signé par Nong Duc Manh, alors Président de l’Assemblée Nationale, le 14 décembre 1996, et un « Décret 96/CP sur les Services Secrets Militaires », signé par le Premier Ministre Vo Van Kiet, le 11 septembre 1997. Ces nouvelles lois faisaient du DG2 un organisme si puissant que le Premier Ministre Vo Van Kiet a dit plus tard au Major-Général Khanh : « J’ai réfléchi plus de 6 mois avant d’accepter finalement de signer le décret ».

Cette « codification de la répression » est une pratique habituelle au Vietnam. La lettre affirme que ces lois ont en fait été imaginées et conçues par les services secrets militaires eux-mêmes, et non par les organes législatifs. « Dans notre pays, chacun sait que les lois ne sont pas préparées par l’Assemblée Nationale et que les décrets du Premier Ministre ne le sont pas par le Cabinet du Premier Ministre. Non, ils le sont par les « corps concernés » eux-mêmes afin de leur prodiguer une protection légale pour leurs activités ».

Ces deux textes placent le DG2 « sous le contrôle direct et exclusif du Parti Communiste Vietnamien dans tous les domaines, et le rend responsable directement devant le Président » (article 2, chapitre 2 de l’Ordonnance) ; ils lui donnent le pouvoir « d’être actif dans tous les domaines de la politique, de la défense, de la sécurité, des relations étrangères, de l’économie, des sciences et de la technologie, de l’industrie et de l’environnement, de la société et de la culture » (article 1, chapitre 1 du décret 96/CP). « L’objet et le but des services secrets du Ministère de la Défense sont de collecter des informations et des documents concernant la République Socialiste du Vietnam. Ils doivent apporter une attention spéciale à tous les pays, organisations et individus, à l’intérieur et à l’étranger, qui complotent ou s’engagent dans des activités visant à menacer ou à s’opposer au Parti Communiste ou à la République Socialiste du Vietnam » (article 11, chapitre 2, décret 96/CP). Ainsi, le DG2 n’a de comptes à rendre ni au gouvernement ni à l’Assemblée Nationale, mais seulement et exclusivement au Président et aux dirigeants du Parti Communiste.

Dans sa lettre, Nguyen Nam Khanh donne de nombreux exemples concrets des abus de pouvoir du DG2 depuis 20 ans, notamment « l’Affaire Seam Reap » au Cambodge, en 1983. A la suite de l’invasion vietnamienne au Cambodge en 1978, le DG2 (connu alors sous l’appellation Département N°2) a usé d’une incroyable violence contre les hauts-cadres communistes cambodgiens afin de maintenir la domination vietnamienne (1) : « Ils confectionnèrent de faux documents, fabriquèrent des preuves, accusèrent faussement des camarades innocents (= des cadres communistes cambodgiens), puis usèrent d’intimidation et de la torture pour extorquer des confessions de crimes qu’ils n’avaient jamais commis. Ces [cadres communistes cambodgiens] furent soumis à de si atroces souffrances psychologiques et physiques que beaucoup se suicidèrent ». Le Général Le Duc Anh, le Commandant militaire au Cambodge, trempait dans l’affaire. D’autres exemples sont donnés :

« L’affaire Sau Su », en 1991 : avant le VIIème Congrès du Parti, une lutte de pouvoir eut lieu au sein du PCV et la faction emmenée par Vo Nguyen Giap commençait à gagner du terrain face à la ligne de l’orthodoxie. Afin de miner cette avancée, le DG2 enregistra les témoignages fabriqués d’un agent du nom de Sau Su calomniant Vo Nguyen Giap, Tran Van Tra et d’autres hauts-cadres. Ces témoignages paraissaient si vrais qu’ils « abusèrent le Politburo, le Secrétaire Général du Parti, le Comité Central et bien d’autres membres fervents du Parti… Cette grave diffamation mena à un profond schisme au sein du Parti et les dirigeants militaires en subissent encore aujourd’hui les conséquences dommageables ».

« L’Affaire T4 » : T4 était le nom d’un agent secret fictif créé par le DG2 qui aurait infiltré la CIA. Cet « agent » transmettait « des centaines de rapports écrits et oraux. Le but était de calomnier les cadres du Parti et les fonctionnaires du gouvernement en fournissant de prétendues « informations » de la CIA sur les cadres que celle-ci manipulait ou qui avaient des liens avec ou étaient affiliés à la CIA. Parmi les accusés figuraient Vo Nguyen Giap, Vo Van Kiet, Phan Van Khai, Le Kha Phieu, Mai Chi Tho, Truong Tan Sang » et bien d’autres.

Nguyen Nam Khanh cite aussi des extraits des « Bulletins d’informations » du DG2 sur des cadres de haut-niveau. Suivent quelques brefs exemples :

« Concernant Vo Nguyen Giap : Après le VIIIème Congrès du PCV, la CIA ordonna au « groupe Z » (le groupe emmené par Giap) de mobiliser le soutien à ses vues et idées. Il devait utiliser la « Pensée Ho Chi Minh » pour rejeter le Marxisme-Léninisme, séparer les deux idéologies et utiliser la Pensée Ho Chi Minh comme base pour un mouvement visant « la démocratie du peuple » (Bulletin d’informations 49/96TR, 7 juillet 1996). « Concernant Mai Chi Tho (alias Nam Xuan, ancien Ministre de l’Intérieur, frère de Le Duc Tho, Note du Comité Vietnam) : Charles Rey, le Consul américain à Ho Chi Minh Ville, a rendu visite à Nam Xuan à son domicile. C’est anormal. Nous ignorons le contenu de leur conversation… » (Bulletin d’information du 5 octobre 1999). Concernant encore Mai Chi Tho, durant l’affaire « Sau Su », le DG2 rapportait : « Alerte – Mai Chi Tho et sa clique sont sur le point de faire un coup d’Etat ». « Concernant Nong Duc Manh : Nous avons été informés que Nong Duc Manh travaille de concert avec Minh Phung (une entreprise impliquée dans le plus gros scandale de corruption, note du Comité Vietnam). Tang Minh Phung a fait beaucoup de faveurs au camarade Manh, qui a été très mécontent de l’arrestation de Minh Phung » (Bulletin d’informations n°351/97/TR, 17 décembre 1997).

Nguyen Nam Khanh affirme que les agents du DG2 sont infiltrés partout et qu’ils utilisent tous les moyens de communication, incluant l’internet, pour fomenter des divisions dans les rangs du Parti et couvrir leurs protégés politiques. Ils n’hésitent pas à entretenir des relations avec le milieu, « fournissant des laissez-passer des services secrets aux membres du gang criminel de Nam Cam, et travaillant étroitement avec eux ».

L’on ignore si ces questions ont été soulevées lors des discussions de la 10ème session du Comité Central du PCV, au mois de juillet 2004. Les efforts précédents de « réformer le Parti de l’intérieur » par les vétérans comme le Major-Général Nguyen Nam Khanh, feu Nguyen Van Tran et d’autres ont rarement été pris en compte et ont, en fait, souvent abouti à l’expulsion du Parti ou à l’arrestation des intéressés, comme dans le cas de feu le Lieutenent-Général Tran Do ou de l’historien militaire Pham Que Duong.

« A la lumière de la lettre du général Nguyen Nam Khanh, c’est un véritable Etat dans l’Etat qui est mis à jour et la situation est pire que ce que l’on pouvait envisager » a déclaré Vo Van Ai, Président du Comité Vietnam pour la Défense des Droits de l’Homme. « Ceux qui, en Occident, pensent qu’il y a tout de même un débat ‘démocratique’ au sein du Parti Communiste devront revoir leur copie : Cet Etat dans l’Etat, véritable puissance occulte et tentaculaire, recourt à la calomnie, à la torture et aux assassinats politiques au sein même du Parti Communiste et des institutions nationales pour servir les intérêts de quelques-uns, tapis dans l’ombre ».

Pour M. Ai, « l’existence d’une telle organisation secrète n’augure rien de bon pour les membres du Parti Communistes, mais plus encore pour les citoyens ordinaires, les dignitaires religieux indépendants, les dissidents politiques ou les simples esprits critiques… Alors que les millions de dollars de la Banque Mondiale, de l’UNDP, du FMI et de la communauté internationale en générale sont engloutis dans le « Legal System Development Strategy » et dans d’autres programmes « démocratiques », il est clair qu’il s’agira d’un simple gaspillage tant que régnera en toute impunité sur le Vietnam le PCV et ses services secrets ».


Voir la lettre de Nguyen Nam Khanh (en vietnamien)


(1) De nombreux Communistes cambodgiens avaient commencé à s’indigner d’être maintenu sous la tutelle vietnamienne. Pen Sovan, le Ministre de la Défense et Secrétaire Général du Parti Révolutionnaire du Peuple Kampuchéen, qui avait été installé par les Vietnamiens, fut sommairement démis de ses fonctions pour son attitude de défiance vis-à-vis de Hanoi, en 1981. Il fut envoyé au Vietnam et placé en résidence surveillée pendant les 10 années qui suivirent.

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