La Fédération Internationale des Ligues des Droits de l’Homme (FIDH) et son affiliée, le Comité Vietnam pour la Défense des Droits de l’Homme (Comité Vietnam), sont très préoccupées par le fossé qui sépare les déclarations de principe de la République Socialiste du Vietnam (RSV) et ses pratiques dans le domaine des droits de l’Homme.
Bien que la RSV ait renoué le dialogue avec les mécanismes de protection des droits de l’Homme des Nations Unies, en particulier le Comité des Droits de l’Homme à qui elle a soumis son rapport périodique en juillet 2002, la persistance du Vietnam à rejeter toute observation non conforme à sa propagande comme « déformée et irresponsable » n’augure d’aucune volonté des autorités vietnamiennes à travailler sincèrement et réellement à la protection des droits de l’Homme. Quelques mois seulement après les débats devant le Comité des Droits de l’Homme, la situation des droits de l’Homme s’est ainsi fortement aggravée et les autorités paraissent avoir pris le contre-pied de toutes les recommandations du Comité des Droits de l’Homme (1). La FIDH et le Comité Vietnam s’attacheront ici à citer les exemples les plus significatifs du double langage de la RSV.
A la suite du Groupe de travail sur la détention arbitraire (octobre 1994) et du Rapporteur spécial sur l’intolérance religieuse (1998), le Comité a considéré que « la définition de certains actes comme l’opposition à l’ordre ou les violations de la sécurité nationale… est excessivement vague et incompatible avec l’article 6§2 du Pacte ». Loin d’envisager de suivre les recommandations pour réviser les lois sur la « sécurité nationale », le Tribunal populaire de Hanoi a condamné, le 20 décembre 2002, Nguyen Khac Toan (48 ans) à 12 ans d’emprisonnement et 3 ans de résidence surveillée pour « espionnage », crime relevant de la « sécurité nationale » (article 80 du Code pénal). Nguyen Khac Toan avait aidé des paysans à déposer des plaintes contre les confiscations des terres et la corruption et avait communiqué ces plaintes à l’étranger. Ce procès illustre parfaitement le caractère fourre-tout des incriminations vietnamiennes en matière de « sécurité nationale » où l’exercice légitime de la liberté d’expression peut être sanctionné en tant qu’espionnage.
Le 8 novembre 2002, le Tribunal populaire de Hanoi a condamné le cyberdissident Le Chi Quang à 4 ans de prison et 3 ans de résidence surveillée pour « délit de propagande anti-gouvernementale contre l’Etat de la RSV » (article 88 du Code pénal). Il lui était reproché d’avoir écrit et diffusé sur l’internet plusieurs articles critiques ainsi que d’avoir demandé « le pluralisme et le multipartisme » et « l’abrogation de l’article 4 de la Constitution » (2). Cet article 4 (sur le monopole politique du Parti Communiste) avait été jugé contraire au PIDCP lors des débats des experts du Comité des Droits de l’Homme, en juillet 2002.
Alors que le Comité insistait pour que « l’Etat-Parti [s’assure] de ce que personne ne soit arbitrairement sujet à des restrictions à sa liberté », les dissidents Pham Que Duong et Tran Khue, ont été arrêtés respectivement les 29 et 30 décembre 2002. Pham Que Duong (71 ans), ancien colonel et ancien rédacteur en chef de la Revue d’Histoire Militaire de l’Armée du Peuple, a été arrêté à la gare de Ho Chi Minh Ville, avec sa femme, après avoir rendu visite à Tran Khue, qui était en « détention administrative » depuis le 22 octobre 2001, pour avoir demandé l’autorisation de fonder une association contre la corruption, en août 2001. Pham Que Duong, qui s’était associé à cette initiative, connaissait depuis interrogatoires et harcèlements de la police. Bien que la RSV n’ait pas révélé le motif de leur arrestation, leurs prises de position en faveur des droits de l’Homme et des réformes, notamment par le biais de pétitions, sont certainement à l’origine de leur incarcération arbitraire.
En outre, la FIDH et le Comité Vietnam attirent l’attention de la Commission sur la situation préoccupante des bonzes bouddhistes de l’Eglise Bouddhique Unifiée du Vietnam (EBUV, Eglise historique indépendante, interdite depuis 1981) détenus, sans procès, dans des pagodes qui font office de prison : Thich Quang Do est depuis juin 2001 en « détention administrative », écroué dans la chambre de son propre Monastère Zen Thanh Minh, à Ho Chi Minh Ville, pour avoir lancé un « Appel pour la Démocratie au Vietnam ».
Quant au Patriarche Thich Huyen Quang (85 ans), il entame, en 2003, sa vingt-et-unième année de détention arbitraire. Malade, il est isolé et étroitement surveillé par la Sécurité dans une cabane du jardin d’une Pagode de la province reculée de Quang Ngai.
La FIDH et le Comité Vietnam déplorent qu’à la suite de son dialogue avec le Comité des Droits de l’Homme, la RSV ne semble nullement disposée à réformer ses lois dans le sens des recommandations du Comité. Ainsi, aucun signe de révision du décret 31/CP sur la « détention administrative » ou de l’article 71 du Code de procédure criminelle sur la prolongation indéfinie de la détention préventive en cas « d’atteinte sérieuse à la sécurité nationale ». Les autorités vietnamiennes montrent d’ailleurs une propension grandissante à user des détentions sans procès pour bâillonner toute dissidence. Outre les cas précités, la situation de Pham Hong Son, arrêté le 28 mars 2002 pour avoir traduit en vietnamien un texte sur la démocratie, illustre parfaitement cette tendance. Incarcéré à la prison B14, près de Hanoi, il est à ce jour en détention préventive depuis 10 mois sans décision judiciaire.
En dépit de l’affirmation dans ses commentaires concernant les observations finales du Comité des Droits de l’Homme (3) selon laquelle « il n’est pas exact de dire que nous (la RSV) soumettons les réunions publiques et les manifestations à des restrictions », le gouvernement vietnamien projette d’adopter un décret pour restreindre le droit de manifester, selon le journal Lao Dong (Travail) du 13 janvier 2003. Le ministre Doan Manh Giao évoque notamment la « possibilité d’interdire les rassemblements devant les résidences de hauts responsables du Parti et du gouvernement », dénonçant les personnes qui « utilisent » les plaintes et les pétitions pour inciter d’autres personnes à manifester. Ce projet incompatible avec l’article 25 du PIDCP fait suite à la remarque du Secrétaire général du Parti Communiste Vietnamien Nong Duc Manh qui, le 10 mai 2002, avait estimé que « le fait que des gens se rassemblent avec des pancartes est anormal ».
La FIDH et le Comité Vietnam rappellent que récemment, plusieurs condamnations ont été prononcées contre des paysans qui avaient manifesté contre les expropriations et la corruption des cadres locaux (10 condamnés à des peines de 18 mois à 5 ans de prison le 19 décembre 2002, 21 condamnés à des peines d’emprisonnement le 30 décembre 2002).
La RSV ne se conforme pas à l’article 19 du PIDCP, malgré les préoccupations des experts concernant les « limitations extensives au droit à la liberté d’expression dans les médias et le fait que la Loi de la Presse n’autorise pas l’existence d’une presse privée ». La presse vietnamienne (600 titres) reste, en droit et en fait, sous le contrôle étroit et la censure du gouvernement et du Parti. Le 21 novembre 2002, la décision 28-2002-QD-BVHTT du Ministère de la Culture et de l’Information (entrée en vigueur le 6 décembre 2002), a renforcé ce contrôle et cette censure à l’encontre des publications des entités étrangères établies au Vietnam, y compris les communiqués de presse et les informations transmises sur les sites internet. Les représentations diplomatiques, les ONG et les entreprises étrangères (dont les agences de presse) sont dès lors soumises aux mêmes restrictions que les Vietnamiens.
Nos organisations, qui ont vivement regretté le caractère péremptoire des observations vietnamiennes sur les conclusions du Comité des Droits de l’Homme, rappellent qu’en ratifiant le PIDCP, la RSV s’est engagée à garantir, dans les textes et dans la pratique, les droits de l’Homme sur son territoire.
Alors que la RSV entame un vaste programme de réformes législatives de dix ans, pour lequel elle sollicite des subsides de la communauté internationale, la FIDH et le Comité Vietnam demandent à la Commission des droits de l’Homme :
– de rappeler à la RSV que l’Etat de droit ne se mesure pas à l’aune du nombre de lois adoptées, mais à leur précision et leur conformité au droit international,
– de demander aux pays donateurs de ne soutenir le programme législatif vietnamien que dans la mesure où il prendra en compte les recommandations formulées par les mécanismes onusiens dans le domaine des droits de l’Homme, dans les textes et les pratiques,
– d’appeler la RSV à signer le Statut de la Cour pénale internationale en vue de le ratifier et le mettre en œuvre ensuite ; ratifier la Convention des Nations unies contre la torture ; et remettre les rapports périodiques en retard aux organes conventionnels concernés (au CESCR attendu depuis juillet 2000 et au CRC attendu depuis septembre 2002).
(1) réf. CCPR/CO/75/VNM, 26 juillet 2002
(2) voir l’acte d’accusation 11/KSDT-AN du 24 septembre 2002
(3) réf. CCPR/CO/75/VNM/Add.1, 5 août 2002