Un rare témoignage de l’intérieur du Forum des Peuples a été donné par une participante clef : Mme Deborah Stothard, coordinatrice de l’ONG asiatique Altsean Burma – The Alternative Asean Network on Burma, est intervenue en session plénière sur la « Démocratisation et Droits des Peuples ». Lors d’une interview accordée par téléphone à Penelope Faulkner, Vice-Présidente du Comité Vietnam pour la Défense des Droits de l’Homme, depuis le Forum même à Hanoi, Mme Stothard a donné ses impressions sur le Forum des Peuples de l’ASEM 5 et sur sa première visite au Vietnam. Ci-dessous figure la transcription de cette interview qui a été radiodiffusée au Vietnam sur les ondes de la Radio Free Asia, le 10 septembre à 21h00 et le 11 septembre à 6h30.
Penelope Faulkner : Deborah Stothard, vous avez parlé à la session plénière sur la « Démocratisation et les Droits des Peuples » lors du Forum des Peuples de l’ASEM 5 à Hanoi. Pourriez-vous nous rapporter brièvement ce que vous avez dit dans votre discours ?
Deborah Stothard : Durant les deux premiers jours du Forum, beaucoup de participants ont parlé de la guerre contre le terrorisme et de la présence américaine en Irak. J’ai donc commencé mon discours en disant que toutes les atrocités dues à la guerre en Irak nous rappelaient à tous qu’il était inacceptable de détenir les gens et les soumettre à la torture — dans aucun pays du monde — pour la seule justification de protéger la majorité. Cette excuse est utilisée pour justifier la détention de prisonniers politiques non seulement au Vietnam mais aussi dans tous les autres pays de l’ASEM.
A la nuit d’ouverture du Forum, l’un des Vice-Premiers ministres vietnamiens avait fait un discours au dîner d’ouverture et avait dit combien le Vietnam appréciait la démocratie et avançait étape par étape vers la démocratie. Dans mon discours, donc, j’ai noté que la façon dont les Vietnamiens avaient transformé leur économie durant les dix dernières années était très enthousiasmant, et que j’étais certaine qu’ils ne devraient pas avoir de problème pour transformer leur système politique pour le rendre plus démocratique.
Apparemment, mes remarques sur ce point ont causé un choc et une certaine agitation parmi les participants vietnamiens.
J’au aussi invité les membres de la séance plénière à se lever pour une minute de silence en l’honneur de nos amis absents, de tous ceux qui n’ont pas pu assister au Forum parce qu’ils sont en détention ou pour toute autre raison, et également pour tous ceux qui ont perdu leur vie ou leur liberté dans leur combat pour la liberté des autres. La majorité des gens s’est levé et a honoré les défenseurs des droits de l’Homme de la région.
P. Faulkner : Y a-t-il eu des participants qui ne se sont pas levés ?
D. Stothard : Je pense qu’il y a eu une toute petite minorité des participants vietnamiens qui ne s’est pas levée, mais la plupart des Vietnamiens et tous les participants étrangers se sont levés et ont présenté leurs respects.
P. Faulkner : Quelles sont vos impressions générales sur le Forum des Peuples de l’ASEM 5 ?
D. Stothard : Il y avait définitivement une grande anxiété, plus de formalisme et moins de liberté lors de ce Forum des Peuples que lors des précédents Forum des Peuples de l’ASEM à Londres, Copenhague, Séoul et Bangkok. Oui, c’était très clair que beaucoup de gens s’autocensuraient parce qu’on les avaient mis sous pression pour qu’ils n’offensent pas les hôtes vietnamiens.
P. Faulkner : Tous les autres Forums des Peuples de l’ASEM se sont tenus en parallèle avec le Sommet officiel de l’ASEM, alors que le Forum des Peuples de Hanoi se tient à l’avance. Que pensez-vous de cela ?
D. Stothard : Il n’y a pas eu d’explication claire quant à la raison pour laquelle le Forum des Peuples de l’ASEM 5 devait avoir lieu un mois avant le Sommet officiel de l’ASEM et ne pouvait se tenir en même temps. Nous ignorons si c’est parce que Hanoi n’a pas la capacité d’accueillir deux conférences en même temps, ou s’il s’agissait d’une séparation tactique des autorités [vietnamiennes] pour empêcher toute inter-réaction entre le Forum des Peuples et le Sommet officiel de l’ASEM. Il est très probable que c’était dans l’intention délibérée de nous séparer de nos gouvernements.
P. Faulkner : Nous avons entendu des rapports selon lesquels la presse internationale a été empêchée d’assister à ce Forum. Est-ce exact ?
D. Stothard : La presse n’a pas été autorisée à assister au Forum ou aux ateliers, et, en fait, certains membres de la presse ont dû signer comme participants pour pouvoir accéder aux débats. Toutefois, après un certain nombre de signes d’indignation et de pressions internationales, la presse a pu venir au Forum, le tout dernier jour.
P. Faulkner : Le Comité d’organisation a dit qu’il y aurait des briefings quotidiens pour la presse. Les ONG ont-elles pu parler à ces briefings ?
D. Stothard : Les briefings pour la presse ont été organisés dans un hôtel séparé de l’hôtel principal où se tenait le Forum. Aussi, la plupart des participants des ONG ignoraient [la tenue de ces briefings] et n’étaient pas présents à ces briefings pour la presse. Ils étaient tenus par le seul Comité d’organisation, et ceux qui ont parlé à ces briefings l’ont fait seulement à l’invitation du Comité d’organisation.
P. Faulkner : Combien de personnes ont assisté au Forum ?
D. Stothard : Je pense qu’il y avait plus de 500 personnes. Malheureusement, les participants vietnamiens n’ont pas semblé constituer la majorité. Lors des précédents Forums à Bangkok, Londres, Séoul et Copenhague, les militants locaux étaient venus en grand nombre. Le Forum des Peuples de l’ASEM 5 à Hanoi s’est tenu à l’Hôtel Tay Ho, un hôtel au bord d’un lac à une bonne distance du centre de la ville. Il n’y avait qu’une route d’accès à l’hôtel. Aussi nous nous sentions un peu isolés. Et il y avait un contrôle très strict des badges d’accréditation. Les personnes qui n’avaient pas de badge d’accréditation n’étaient pas admises dans l’hôtel. La situation n’était donc pas celle où les touristes, les militants locaux ou les membres des ONG du Vietnam pouvaient juste marcher et s’asseoir pour une discussion.
P. Faulkner : Quels ont été vos contacts avec les participants vietnamiens ? Avez-vous ressenti des restrictions sur ce qu’ils pouvaient vous dire ?
D. Stothard : Oui définitivement ! Un nombre inhabituellement significatif de participants vietnamiens se sentaient obligés de commencer leurs commentaires en disant combien était bien le travail du Parti Communiste. Dans toute mon expérience, je n’avais jamais vu des gens soutenant aussi ardemment leur gouvernement !
P. Faulkner : En particulier les ONG !
D. Stothard : (rires) Précisément ! C’était une sorte de choc culturel pour moi car j’étais habituée à voir les ONG comme plutôt provocatrices, défiant les politiques du gouvernement et proposant des alternatives, alors qu’ici, si nombreux étaient les participants vietnamiens qui paraissaient obligés de défendre le satus quo.
P. Faulkner : Le dernier jour du Forum, il y a eu un certain nombre d’ateliers sur le thème « démocratisation et droits des peuples ». Savez-vous si quelqu’un a soulevé le cas spécifique des violations des droits de l’Homme au Vietnam ?
D. Stothard : J’ignore si un cas spécifique sur les droits de l’Homme au Vietnam a été soulevé. En partie parce qu’il y avait beaucoup d’ateliers et que je ne pouvais être présente à chacun d’eux. Mais je sais que la situation de l’Eglise Bouddhique Unifiée du Vietnam, par exemple, n’a pas été débattue ouvertement. Certains ont fait des références aux droits de l’Homme d’une manière qui rendait clair qu’il s’agissait des violations des droits de l’Homme au Vietnam.
Il était aussi très intéressant d’écouter les « dignitaires » vietnamiens vanter la démocratisation au Vietnam et leur détermination à démocratiser « étape par étape » et à leur propre et « unique » façon. L’accent était mis sur les accomplissements économiques du gouvernement vietnamien en termes d’accès à la santé, à l’éducation et aux services sociaux. En fait, un des orateurs nous a assuré que la presse vietnamienne devenait progressivement plus libre. Malheureusement, nous n’avons pas pu avoir accès à la presse vietnamienne lors de ce Forum, aussi, nous n’avons pas pu vérifier !
P. Faulkner : Vous avez dit avoir senti que la plupart des participants étrangers pratiquaient une certaine auto-censure dans leurs présentations et dans leurs observations…
D. Stothard : Il y avait aussi une franche censure ! Lors de la session plénière, quand la question de la Birmanie a été mentionnée, un ou deux participants vietnamiens, qui étaient manifestement des hautes personnalités, se sont opposés avec vigueur à l’inclusion de la question birmane dans la Déclaration formelle du Forum.
P. Faulkner : La déclaration a-t-elle déjà été rendue publique ?
D. Stothard : Non. Elle n’a pas été finalisée et il ne semble pas, à l’heure actuelle, que la Birmanie y sera incorporée.
P. Faulkner : Vous êtes une militante bien connue des droits de l’Homme et de la démocratie, et vous luttez pour la démocratie en Asie depuis de nombreuses années. Avez-vous quelque chose à dire aux Vietnamiens défenseurs des droits de l’Homme et démocrates qui étaient absents de ce Forum, pour beaucoup parce qu’ils sont en prison, assignés à résidence, ou pour de nombreuses autres raisons, et qui vous écoutent sur les ondes aujourd’hui ?
D. Stothard : Beaucoup, beaucoup de militants sont venus au Vietnam dans l’espoir d’un interaction avec les différentes composantes de la société civile vietnamienne. A l’évidence, ce n’est pas arrivé de manière authentique ou significative. Nous espérons que nos amis et collègues vietnamiens qui nous écoutent comprendront que nous leur envoyons nos meilleurs souhaits et nos plus chaleureux signes de solidarité. Et même si nous n’avons pas eu la chance de les rencontrer, cette expérience a véritablement convaincu beaucoup d’entre nous que le Vietnam devait être au centre de nos efforts pour promouvoir les droits de l’Homme.
P. Faulkner : Merci de nous avoir accordé cette interview depuis le Forum des Peuples de l’ASEM 5 à Hanoi. Nous vous souhaitons un bon voyage de retour !