PARIS, 1er avril 2009 (BIIB) – Le Bureau International d’Information Bouddhiste (IBIB) vient de recevoir un appel lancé par le Patriarche Thich Quang Do, chef de l’Eglise Bouddhique Unifiée du Vietnam (Eglise historique, indépendante, interdite depuis 1981), demandant à tous les Vietnamiens de rester chez eux tout au long du mois de mai 2009 en signe de protestation et de « désobéissance civile » contre la destruction de l’environnement et les risques pour la sécurité qu’implique l’exploitation de la bauxite sur les Hauts-Plateaux du Centre du Vietnam. Le dignitaire de l’EBUV de 80 ans, qui a été proposé pour le Prix Nobel de la Paix 2009, a envoyé cet appel clandestinement depuis le Monastère Zen Thanh Minh à Saigon, où il se trouve en résidence surveillée.
Thich Quang Do rappelle les préoccupations grandissantes des scientifiques, de la presse officielle et des habitants du fait du coûteux et dangereux projet de mine de bauxite à ciel ouvert que met en œuvre le gouvernement vietnamien avec la Chine : Il est en effet à craindre que « l’exploitation à ciel ouvert et le processus d’extraction de la bauxite ne détruisent la forêt des Hauts-Plateaux, ne polluent les sols rouges basaltiques, n’accroissent le risque de sécheresses ou d’inondations prolongées, et ne contaminent les réserves d’eau, menaçant ainsi directement le développemet économique des régions du sud du Centre-Vietnam, les provinces du Delta du Mékong de Dong Nai, Binh Duong et même Ho Chi Minh Ville elle-même ». Notant que 7 mines de bauxite sont déjà en activité dans la seule province de Dak Nong, Thich Quang Do met en garde contre la « désertification imminente, [la] transformation de 6.000 collines verdoyantes en montagnes de boues rouges toxiques dans une région de plus de 600.000 hectares, traversée de centaines de ruisseaux, où quelques 29 minorités ethniques, M’Nongs pour la plupart, ont élu domicile ».
Thich Quang Do s’inquiète également de ce que « ce projet menace également gravement notre défense nationale » du fait de l’installation de milliers d’ouvriers chinois dans cette « zone militaire stratégique », à la croisée des frontières du Cambodge, du Laos et du Vietnam, alors qu’au même moment, « au large des côtes du Vietnam, la Chine empiète sur les îles Paracel et Spratley » dans la Mer de Chine méridionale.
Le chef de l’EBUV et dissident renommé, demande par conséquent aux Vietnamiens dans tout le pays « de manifester à la maison en signe de désobéissance civile : que les fermiers n’aillent pas dans les champs ; que les ouvriers ne se rendent pas dans les usines ; que les marchands et commerçants n’aillent pas sur les marchés ; que les étudiants n’aillent pas en classe » pendant tout le mois de mai 2009. Les Vietnamiens à l’étranger devraient, quant à eux, soutenir cette initiative, dit-il, en ne se rendant pas au Vietnam pour le tourisme et en s’abstenant d’envoyer de l’argent au Vietnam durant le mois de mai.
Il appelle également le Vietnam à rendre public les détails des deux traités de frontières controversés entre la Chine et le Vietnam, soulignant que « le peuple du Vietnam a le droit de savoir dans quelle mesure les autorités ont sauvegardé ou concédé le territoire et les mers pour lesquels nos ancêtres ont donné leur vie ». Il presse le Vietnam d’organiser une Conférence rassemblant les experts et les représentants du peuple de toute obédience politique ou religieuse, y compris les Vietnamiens de l’étranger afin « d’examiner les préoccupations du peuple et de prendre une décision rapide d’arrêt de l’exploitation de la bauxite sur les Hauts-Plateaux ». « La démocratie, c’est la voix du peuple », conclut-il, « une voix de dialogue et de débat en temps de crise, un engagement commun à trouver des solutions pour les problèmes de notre Nation. A cet instant crucial, le temps est venu pour notre peuple d’exprimer sa volonté au travers de ce mois de manifestation à la maison ».
Texte intégral de l’appel de Thich Quang Do (traduction par le Bureau International d’Information Bouddhiste) :
« Ecartant les avertissements des scientifiques et des experts sur les dangers de l’extraction de la bauxite sur les Hauts-Plateaux, le Premier Ministre Nguyen Tan Dung a choisi l’offre de la Chine pour le projet minier dans la région et a déclaré : « L’exploitation de la bauxite sur les Hauts-Plateaux est une politique prioritaire du Parti Communiste, comme cela a été dit dans la Résolution du Xème Congrès du Parti Communiste » (2006).
« C’est une décision du Parti Communiste. Mais qu’en pense le peuple vietnamien ?
« Le peuple s’est fait l’écho des préoccupations des experts, des intellectuels et des chercheurs dans tout un éventail d’articles dans la presse et les médias d’Etat et sur internet. Tous craignent que l’exploitation à ciel ouvert et le processus d’extraction de la bauxite ne détruisent la forêt des Hauts-Plateaux, ne polluent les sols rouges basaltiques, n’accroissent le risque de sécheresses ou d’inondations prolongées, et ne contaminent les réserves d’eau, menaçant ainsi directement le développemet économique des régions du sud du Centre-Vietnam, les provinces du Delta du Mékong de Dong Nai, Binh Duong et même Ho Chi Minh Ville elle-même. Depuis des temps immémoriaux, les forêts verdoyantes des Hauts-Plateaux du Centre ont préservé notre équilibre écologique, assurant la préservation de l’eau dans la nappe phréatique et régulant l’atmosphère et le climat dans toute la région. La destruction de ces forêts ne va pas seulement irremédiablement détruire le paysage. Elle va annihiler la culture et le style de vie des minorités ethniques vivant sur ces plateaux fertiles et comptant des milliers de personnes.
« Selon les études scientifiques, l’exploitation de la bauxite pour obtenir de l’alumine (utilisée pour la production d’aluminium) n’est pas commercialement rentable dans cette région. Les bénéfices commerciaux de la production d’alumine dans les Hauts-Plateaux du Centre seront moindres que ceux de l’agriculture. Les réserves de bauxite peuvent être importantes mais elles sont limitées. Une fois épuisées, elles ne pourront se reconstituer. L’agriculture et les cultures commerciales (café, thé, noix de cajou), au contraire, possèdent un potentiel illimité, ses ressources étant indéfiniment renouvelables. En outre, les technologies chinoises pour le stockage des déchets toxiques (« boues rouges ») produits par le traitement de la bauxite, sont complètement dépassées. Alors que les pays modernes ont développé le séchage et l’épaississement des boues rouges (« dry stacking ») pour réduire le risque de pollution, les Chinois continuent de les entreposer dans des bassins de rétention (système du « wet deposit »), faisant courir le risque de contamination des eaux des Hauts-Plateaux, du Delta du Mékong et de toute la région sud.
« Dans une Lettre Ouverte au Premier Ministre Nguyen Tan Dung, le Général Vo Nguyen Giap a récemment rappelé que le Parti Communiste avait présenté un projet similaire d’extraction de la bauxite des Hauts-Plateaux au COMECON, le bloc économique de l’Europe de l’Est soviétique, dans les années 1980. Le général Giap y écrit : « Le COMECON a dissuadé notre gouvernement d’exploiter la bauxite dans la région. Il avertissait que cela causerait des dommages écologiques à long-terme dévastateurs, non seulement pour les habitants locaux, mais aussi porterait atteinte à la vie et l’environnement du peuple dans les plaines au sud des provinces du Centre ».
« C’est précisément à cause des risques écologiques que le Département de la Protection de l’Environnement de la Chine a fermé 100 mines de bauxite en Chine entre 2004 et 2008. En Inde, le mouvement « vert » grandissant a organisé des manifestations massives, en 2004, contre le projet de mine de bauxite dans l’Etat d’Orissa, qui devait s’étendre sur 1000 hectares et menacer la vie de 60.000 personnes.
« Au Vietnam, dans la seule province de Dak Nong, à l’extrême sud des Hauts-Plateaux du Centre, sept mines de bauxite sont déjà en activité. Les dangers pour l’environnement sont manifestes — désertification imminente, transformation de 6.000 collines verdoyantes en montagnes de boues rouges toxiques dans une région de plus de 600.000 hectares, traversée de centaines de ruisseaux, où quelques 29 minorités ethniques, M’Nongs pour la plupart, ont élu domicile. Pour 5,4 tonnes de minerais de bauxite à Dak Nong, des centaines de villages ont disparu sous des tonnes d’immondes boues rouges. Selon les experts internationaux, pour chaque tonne d’alumine produite, 4 tonnes de bauxite ont dû être extraites et 3 de boues rouges sont rejetées !
« Ces « boues rouges » sont dangereuses pour les gens des Hauts-Plateaux du Centre. Mais ce projet menace également gravement notre défense nationale. Les Hauts-Plateaux sont une zone militaire stratégique, une position stratégique du Vietnam, à la croisée des frontières du Cambodge, du Laos et du Vietnam. Une présence permanente chinoise dans cette zone fait courir à notre pays un risque. Alors que les travaus n’en sont qu’à leur début, des villages entiers d’ouvriers chinois parsèment déjà le plateau et dix mille Chinois sont attendus cette année. Le prince chinois Trong Thuy est en train de séduire et duper (corrompre ?) la princesse My Chau sur la montagne de Truong Son ! En même temps, au large des côtes du Vietnam, la Chine empiète sur les îles Paracel et Spratley…
« Notre pays est aujourd’hui menacé d’invasion.
« Cette fois, la domination chinoise ne durera pas 1000 ans, mais 3000 ou plus. Car les dirigeants vietnamiens ne sont pas d’aussi vaillants gouvernants que Ly Thai To, Tran Nhan Tong, Le Thai To. Ils dirigent un gouvernement aliéné et coupé du peuple, un régime sous influence étrangère que ce soit pour l’idéologie ou pour son appareil d’Etat, causant ainsi une rupture totale dans notre société et notre civilisation.
« Seules la voix et la volonté du peuple uni peuvent sauver notre pays. Il s’agit tout d’abord d’empêcher le gouvernement de vendre sa plus précieuse richesse — le peuple — sur les marchés étrangers de l’aluminium. Il s’agit ensuite de défendre la patrie de nos ancêtres si durement bâtie et préservée.
« Au nom de l’Eglise Bouddhique Unifiée du Vietnam, j’en appelle à tous les Vietnamiens, au pays et à l’étranger, pour s’opposer à l’extraction de la bauxite sur les Hauts-Plateaux du Centre et dénoncer ses effets destructeurs sur la vie et l’environnement de dizaines de milliers de personnes des minorités ethniques, d’autant plus que ce projet n’est pas le fruit d’études des experts économiques et environnementaux mais plutôt une illustration de la soumission du Vietnam à l’égard de la Chine.
« Aux Vietnamiens à l’étranger, je les invite de façon urgente à alerter l’opinion internationale sur le désastre écologique qui s’annonce sur les Hauts-Plateaux et sur le danger que fait peser l’installation de milliers de Chinois dans cette région frontalière stratégique.
« Aux Vietnamiens au pays, je les invite de façon tout aussi urgente à exprimer leurs protestations par un mois de désobéissance civile en mai, dès la Fête du Travail (1er mai).
« Vivant sous un régime autoritaire étroitement contrôlé par la Sécurité, les Vietnamiens ont perdu leur droit de manifester en public depuis 54 ans dans le nord du Vietnam et depuis 34 ans dans le sud. J’en appelle, par conséquent, à tous de manifester à la maison en signe de désobéissance civile : que les fermiers n’aillent pas dans les champs ; que les ouvriers ne se rendent pas dans les usines ; que les marchands et commerçants n’aillent pas sur les marchés ; que les étudiants n’aillent pas en classe. Nous avons un mois pour préparer ce Mois de la Désobéissance Civile et des Manifestations à la Maison, où nous exigerons des autorités vietnamiennes qu’elles prennent les trois mesures suivantes :
1/ « Soumettre d’urgence les revendications du Vietnam sur le Plateau continental à la Commission de l’ONU des limites du plateau continental, en vertu de la Convention de l’ONU sur le droit de la mer, avant la date butoir du 13 mai 2009, afin de protéger l’intégrité de nos territoires et eaux territoriales ;
« Si le Parti Communiste et le gouvernement n’agissent pas sur ce point, j’en appelle aux Vietnamiens de l’étranger pour mettre sur pied un « Comité pour la Protection des Terres et Mers vietnamiennes », réunir les informations et lancer une campagne internationale pour présenter les revendications du Vietnam à la Commission de l’ONU des limites du plateau continental ;
2/ « Rendre public l’intégralité du Traité frontalier entre la Chine et le Vietnam (1999) et du Traité de délimitation des eaux territoriales entre la Chine et le Vietnam (2000), complétés des cartes détaillées des frontières ainsi définies qui constituent une partie essentielle des traités. Le peuple du Vietnam a le droit de savoir dans quelle mesure les autorités ont sauvegardé ou concédé le territoire et les mers pour lesquels nos ancêtres ont donné leur vie ;
3/ « Convoquer d’urgence une conférence réunissant les représentants de toute la population, y compris les scientifiques, les économistes, les experts de l’environnement, ceux du secteur minier, les géologues, ainsi que les conseillers militaires et les représentants de tous les secteurs politiques, religieux, sociaux, incluant les Vietnamiens d’outre-mer, afin d’examiner les préoccupations du peuple et de prendre une décision rapide d’arrêt de l’exploitation de la bauxite sur les Hauts-Plateaux.
« Le Mois de la Désobéissance Civile et des Manifestations à la Maison, ce mois de mai 2009, démontrera les préoccupations du peuple vietnamien en matière d’environnement ainsi que leur détermination à défendre leur terre natale aux moments cruciaux de notre histoire. La démocratie, c’est la voix du peuple, une voix de dialogue et de débat en temps de crise, un engagement commun à trouver des solutions pour les problèmes de notre Nation. A cet instant crucial, le temps est venu pour notre peuple d’exprimer sa volonté au travers de ce mois de manifestation à la maison.
« Comme j’ai appelé les Vietnamiens au pays à manifester en restant dans leurs foyers, j’en appelle aux Vietnamiens à l’étranger pour qu’ils soutiennent ce mouvement par un boycott général, en refusant de se rendre au Vietnam pour le tourisme ou d’y envoyer de l’argent tout au long de ce mois de mai (exception faite des urgences humanitaires).
« Pour finir, j’en appelle aux médias pour qu’ils relayent l’appel solennel de l’Eglise Bouddhique Unifiée du Vietnam auprès de tous les Vietnamiens au pays ou à l’étranger ainsi que la communauté internationale ».
29 mars 2009
Patriarche de l’Eglise Bouddhique Unifiée du Vietnam
(Signature et Sceau)
Sramana Thich Quang Do