PARIS, 6 mars 2013 (BIIB) – Le Bureau International d’Information Bouddhiste a reçu aujourd’hui une Déclaration du Très Vénérable Thich Quang Do, célèbre dissident et Patriarche de l’Eglise Bouddhique Unifiée du Vietnam (EBUV) sur le pluralisme politique et la démocratie multipartite au Vietnam. La Déclaration, écrite le 5 mars 2013, a été envoyée clandestinement du Monastère Zen Thanh Minh à Saigon, où le chef de l’EBUV est assigné à résidence.
Intitulé « La Démocratie, la clé du développement durable, peut apporter la prospérité, le bonheur et la liberté au peuple vietnamien », ce texte contribue au débat public qui a suivi la consultation lancée par le Parti Communiste du Vietnam (PCV) sur la réforme de la Constitution de 1992 en janvier 2013. Thich Quang Do loue en particulier deux textes qui ont émergé lors des débat : La « Proposition de réforme de la Constitution », postée sur le blog Bauxite.Vietnam et signée par 72 éminents vétérans du PCV et intellectuels, qui a été endossée par plus de 6600 personnes ; et la « Déclaration des Citoyens Libres », postée sur le site Danlambao (Journalisme fait par les citoyens) le 28 février, qui est soutenue par plus de 4200 personnes. Inspirée par l’article du journaliste Nguyen Duc Kien, cette déclaration fait cinq propositions : Abolir l’article 4 (sur le monopole du pouvoir accordé au PCV) et tenir un Congrès pour établir une nouvelle Constitution ; Soutenir la démocratie multipartite ; séparer les pouvoirs exécutif, législatif et judiciaire ; dépolitiser l’armée ; garantir le droit à la liberté d’opinion et d’expression à tous.
Thich Quang Do – Photo BIIB
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« Au nom de l’EBUV, je me félicite de ces deux textes courageux et opportuns qui reflètent les points de vue de plus de dix mille personnes », écrit Thich Quang Do. « Ils redorent le blason de la politique jusque-là abaissée à des manœuvres machiavéliques pour maintenir les privilèges et les prérogatives d’une clique minoritaire. Ils mettent, en outre, en lumière une prise de conscience que la politique n’est pas juste une lutte de pouvoir mais une responsabilité de tous les citoyens pour édifier un système qui se préoccupe du peuple et protège la nation ».
Thich Quang Do, qui a été proposé pour le Prix Nobel de la Paix 2013, a été l’un des tout premiers à appeler publiquement pour des changements démocratiques dans le Vietnam à Parti unique. Son « Appel pour la Démocratie au Vietnam », lancé il y a juste 11 ans, en février 2001, et comprenant un plan de transition en huit points, a été suivi par une « Lettre du Nouvel An pour l’intelligentsia vietnamienne », en 2005, proposant un système pluraliste et multipartite.
« Lorsque j’ai lancé mon « Appel pour la Démocratie au Vietnam », en février 2001, et, par la suite, ma « Lettre du Nouvel An » en 2005, les appels et les actions en faveur de la démocratie étaient rares. Ils étaient difficiles à réaliser et faciles à réprimer », écrit-il. En dépit de cela, son Appel a recueilli la signature de plus de 300.000 Vietnamiens à l’étranger mais aussi à l’intérieur du pays. Le Comité Vietnam pour la Défense des Droits de l’Homme l’avait rendu public à la Commission des Droits de l’Homme de l’ONU, à Genève, en 2001, avec le soutien de centaines de personnalités internationales, dont 35 membres du Congrès américain.
Thich Quang Do cite sa « Lettre du Nouvel An » de 2005, où il pressait le PCV d’embrasser la démocratie multipartite : « Le PCV et le gouvernement ne devraient pas craindre que la liberté et la démocratie leur fasse perdre le pouvoir. Pas du tout ! Ils devraient craindre d’avoir gouverné injustement et trahi la confiance du peuple. Prenez exemple sur les partis communistes d’Europe de l’Est. Ils ont embrassé la démocratie et le système multipartite. Et, dans des pays comme la République Tchèque ou la Pologne, les gens votent librement pour le Parti communiste. Ce qui est important, c’est que tous les partis participent sur un pied d’égalité et que le peuple ait la liberté de choisir entre les différents partis politiques ». Thich Quang Do suggérait donc un système avec tripartite, avec des partis politiques représentant la gauche, le centre et la droite. Il avertissait également les dirigeants de Hanoi : « Le gouvernement ne doit pas penser que parce qu’il a des prisons, une armée massive et une puissante police, il peut faire ce qu’il veut. Le meilleur moyen d’assurer la stabilité politique est de construire un régime fondé sur le soutien du peuple » au moyen des élections démocratiques et du suffrage universel.
Dans sa Déclaration du 5 mars 2013, Thich Quang Do appelle les dirigeants communistes de Hanoi à « respecter les droits de l’Homme fondamentaux, afin que tous les pans de la population puissent s’exprimer librement et faire des propositions constructives pour le développement du pays. Ils ne devraient pas être museler par des dispositions abusives et arbitraires sur la « sécurité nationale », qui, ces dernières années, sont régulièrement et injustement invoqués pour arrêter et détenir des patriotes vietnamiens ».
Il presse également les Vietnamiens au pays et à l’étranger de se rassembler pour construire un « Chemin de la Paix » en cette nouvelle année. « Ce Chemin de la Paix est la voie de la démocratie multipartite qui mènera notre peuple à la stabilité, au développement et au bonheur ».
Comme contribution au débat sur la révision de la Constitution et les réformes politiques, Thich Quang Do rappelle son plan de transition en huit point de son Appel pour la Démocratie de 2001. Les propositions de l’EBUV, vieilles de 11 ans, restent toujours d’actualité dans le Vietnam d’aujourd’hui :
1. Construire une société tolérante, pacifique, pluraliste et égalitaire, une société s’abstenant de recourir à la guerre tant externe qu’interne, gouvernée par des institutions démocratiques dans un système multi-partite ;
2. Démanteler tous les mécanismes de contrôle discriminatoires et anti-démocratiques, notamment le triptyque constitué par le ly lich (curiculum vitae), le ho khau (permis de résidence obligatoire), et le réseau des cong an khu vuc (policiers de secteur). Organiser des élections libres et équitables sous la supervision des Nations Unies pour l’élection d’une Assemblée Nationale réellement représentative du peuple ; garantir le suffrage universel et le droit de se présenter aux élections pour tous les candidats et toutes les formations en dehors du PCV. Séparer les organes des pouvoirs de l’exécutif, du législatif et du judiciaire et construire une société fondée sur l’Etat de droit et sur les principes consacrés par la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme et par le Pacte International relatif aux Droits Civils et Politiques ;
3. Fermer définitivement tous les camps de rééducation. Relâcher tous les prisonniers politiques et de conscience détenus dans le nord du Vietnam après les accords de Genève de 1954 et dans le sud du Vietnam depuis 1975, et encourager tous les anciens prisonniers qui ont une formation et une expertise de participer au processus de reconstruction du pays. En même temps, encourager tous les professionnels, intellectuels, érudits, entrepreneurs, individus et organisations de la communauté vietnamienne en exil, qui ont quitté le pays comme boat-people après 1975, à revenir et à mettre à contribution les techniques et les expériences acquises dans les pays développés pour la reconstruction de la patrie. Abroger toute la législation arbitraire et les restrictions à la liberté religieuse, et interdire la pratique de la « détention administrative » ;
4. Garantir le droit à la propriété privée, à la libre entreprise et le droit d’établir des syndicats libres. Accélérer les politiques d’industrialisation de l’agriculture et de modernisation de l’économie rurale et améliorer le niveau de vie des paysans et des fermiers, qui forment le potentiel de notre nation. Abandonner l’« économie de marché à orientation socialiste ». L’échec manifeste de cette économie socialiste surannée et inapte à apporter la prospérité et la croissance, pendant les 74 années qu’elle a duré en Union Soviétique, a provoqué l’hostilité du peuple et conduit finalement à sa disparition au début des années 1990. Développer le secteur du marché libre en accord avec les normes sociétales vietnamiennes, stimuler le développement d’une économie fondée sur le savoir et la protection de l’environnement. Embrasser le mouvement de la globalisation comme moyen de mise en œuvre du développement durable et promouvoir la paix et la sécurité globale, mais combattre les graves dangers que pose le processus de globalisation économique qui promeut le libre-échange sans respect pour les droits de l’Homme et du travailleur. Concentrer tous les efforts pour réduire le fossé grandissant entre les riches et les pauvres, qui aliène notre peuple et déchire la société vietnamienne ;
5. Protéger notre souveraineté territoriale. Séparer clairement le politique du militaire ; l’armée, la sécurité et les services secrets ne devraient pas être employés comme les instruments d’un parti politique. Réduire la taille des forces armées au niveau d’une force de temps de paix. Réduire le budget militaire et transférer les fonds récupérés vers l’éducation et la santé. Donner la priorité à l’éducation ; former d’urgence les personnes de talent et les experts capables de restaurer la prospérité de la nation ; préparer l’émergence d’une jeune génération de transition [vers la démocratie] — des jeunes qui pourraient trouver une voie médiane entre, d’une part, les aspirations de la vieille génération révolutionnaire, partisane de la guerre et de l’anachronique lutte des classes […] et, d’autre part, la soif de consommation, le culte de l’argent et les exigences de la subsistance quotidienne. L’accès à la santé doit être amélioré. La priorité doit être donnée à la résolution des graves problèmes de la malnutrition infantile et à l’amélioration des infrastructures de santé dans les régions rurales ;
6. […] Promouvoir le développement de la culture vietnamienne traditionnelle, fondée sur un esprit d’ouverture, de créativité et la capacité à absorber la richesse et la diversité des cultures du monde entier. Soutenir les valeurs morales fondamentales de l’humanisme, de la sagesse et du courage exhortées par nos ancêtres. Garantir la justice sociale, l’égalité et la pleine participation des femmes, la non-discrimination entre les religions ; respecter l’autonomie et les spécificités culturelles des minorités ethniques ; protéger les intérêts des étrangers vivant et investissant au Vietnam en conformité avec la loi et sur la base de la réciprocité ; garantir le droit et la dignité des Vietnamiens vivant à l’étranger ;
7. Respecter la souveraineté territoriale des nations voisines. Promouvoir une politique d’amitié, de dialogue et de coopération sur une base d’égalité avec les pays voisins dans les domaines économique, culturel, religieux et social. Consolider les efforts de promotion de la paix, de la sécurité et de la prospérité dans la région Asie-Pacifique. Se joindre aux pays voisins dans le commun effort pour encourager les valeurs de l’humanisme et de la tolérance asiatiques. En maintenant l’humain au centre de la société, nous pouvons empêcher le marché libre de devenir un marché d’esclaves où les êtres humains seraient réduits à l’état de simples denrées commerciales ;
8. En politique étrangère, soutenir la tradition vietnamienne des relations amicales et pacifiques, et mettre en œuvre la diplomatie du « tam cong » (« gagner les cœurs ») dans les relations avec le reste du monde. Promouvoir le dialogue, la coopération et l’aide mutuelle en vue de bénéfices réciproques, sans sacrifier l’identité ni la souveraineté nationales. Appliquer cette politique comme base pour accélérer la croissance économique et étendre l’industrialisation en même temps que le progrès social, afin de rattraper et suivre les nations démocratiques civilisées, progressistes et prospères à l’aube du XXIème siècle.