PARIS, 8 mars 2024 (VCHR) – Alors que le monde célèbre la Journée internationale des femmes ce 8 mars et que le Vietnam brigue un nouveau mandat au Conseil des droits de l’Homme de l’ONU, les voix des femmes vietnamiennes appelant au changement sont systématiquement et arbitrairement réprimées. Le Comité Vietnam pour la défense des droits de l’Homme (VCHR) rend hommage aux dizaines de femmes qui croupissent aujourd’hui dans les prisons vietnamiennes en raison de leurs actions en faveur des droits humains et aux centaines des héroïnes du quotidien — les épouses, les mères et les filles des prisonniers de conscience — qui doivent affronter les harcèlements et intimidations dans leur combat pour nourrir leurs familles et soutenir les êtres aimés qui sont souvent emprisonnés à des centaines de kilomètres de chez elles.
Il y a au moins 200 prisonniers de conscience au Vietnam, dont plus de 30 sont des femmes. Le Vietnam prétend que ces femmes « menacent la sécurité nationale » ou « causent du tort à la Nation ». En réalité, elles sont arrêtées et poursuivies en pleine violation de la Constitution vietnamienne, de la législation nationale et du droit international relative aux droits humains, simplement pour avoir défendu pacifiquement les droits fondamentaux, la justice sociale et un environnement sain.
L’étouffement systématique des voix dissidentes est la suite logique d’une politique ancienne et constante, planifiée aux plus hauts échelons du Parti communiste vietnamien, qui vise à supprimer les droits de l’Homme et à saper les libertés démocratiques. Cette politique a été mise à jour et expliquée dans les moindres détails dans la directive secrète 24 du Politburo, qui a été dévoilée dans un tout récent rapport.
« En réprimant ces voix de femmes, le Vietnam ne viole pas seulement ses obligations internationales, il met en péril son propre avenir », a déclaré Võ Trần Nhật, Vice-président du VCHR. « Un environnement sain ne peut être construit sans les écologistes, une société respectueuse des droits humains ne peut exister sans les défenseurs des droits de l’Homme ». En conclusion, il a ajouté : « Les sœurs Trưng, qui se sont battues pour l’indépendance du Vietnam contre la domination chinoise en 40 après J.-C., sont aujourd’hui célébrées comme des “héroïnes nationales”. Pourtant, si elles vivaient aujourd’hui, les sœurs Trưng seraient probablement derrière les barreaux ».
Nous voudrions rappeler à la communauté internationale le cas de quelques-unes de ces femmes courageuses que le Vietnam voudrait jeter dans l’oubli. Certaines sont très connues, d’autres moins. Nous considérons comme impérative leur libération immédiate et inconditionnelle, ainsi que celle de toutes les personnes détenues arbitrairement au Vietnam.
Nguyễn Thúy Hạnh : Le cancer carcéral
Nguyễn Thúy Hạnh, née en 1963, est une femme d’affaires et une défenseure des droits humains. Depuis qu’elle s’est présentée, en 2016, comme candidate indépendante à l’Assemblée nationale, elle est constamment harcelée. En 2017, elle a créé le « Fonds 50K » pour aider les prisonniers de conscience et leurs familles, récoltant notamment plus de 20.000 dollars pour soutenir les victimes de l’affrontement sur les droits fonciers dans le village de Dong Tâm. Les autorités ont gelé ces fonds en 2020 et ont arrêtée Thúy Hạnh en avril 2021 pour « propagande contre l’État » (article 117 du Code pénal). Depuis avril 2022, elle est détenue d’office à l’Institut central de psychiatrie légale de Hanoï pour traiter sa dépression. Elle y partage une chambre de 15 m² avec sept autres détenues, dont la plupart sont coupables de crimes graves. Son placement ainsi que son traitement ont été imposés par les autorités sans son consentement éclairé ni celui de sa famille.
En janvier 2024, on lui a diagnostiqué un cancer du col de l’utérus de stade 2. Son traitement consiste en cinq séances de radiothérapie et une séance de chimiothérapie par semaine. Chaque après-midi de la semaine, elle est ainsi transportée de l’Institut central de psychiatrie légale vers l’hôpital K pour son traitement. Son mari, Huỳnh Ngọc Chênh, qui n’est autorisé à la voir que brièvement, affirme qu’elle souffre énormément lorsqu’elle retourne au centre de détention et qu’il lui arrive souvent de ne pas pouvoir s’alimenter.
Le maintien en détention de Nguyễn Thúy Hạnh est inhumain et constitue également une violation du droit vietnamien. Les articles 29b et 62 du Code pénal de 2015 disposent en effet que les prisonniers souffrant de maladies en phase terminale sont exemptés de leur peine de prison et l’article 67 du Code que ceux qui contractent des maladies graves en détention « sont exemptés de peine de prison jusqu’à ce qu’ils soient rétablis ».
Định Thị Thu Thuỷ : sept ans de prison pour une satire contre le Parti communiste
Định Thị Thu Thuỷ, née en 1982, est une militante écologiste et une ingénieure en aquaculture. Elle est titulaire d’un master en pisciculture. En juin 2018, elle a été arrêtée et battue par la police pour avoir participé à des manifestations pacifiques contre la loi sur les zones économiques spéciales et la loi sur la cybersécurité. Défenseure de la liberté d’expression, Thủy a critiqué sur les médias sociaux la gestion par le gouvernement de la pandémie de Covid-19, de la catastrophe écologique de Formosa et de bien d’autres questions sociales. Elle a également publié des poèmes satiriques de son père sur une campagne anti-corruption lancée par le président vietnamien et secrétaire général du parti communiste Nguyễn Phú Trọng.
Le 18 avril 2020, elle a été arrêtée pour avoir « satirisé et ridiculisé » la direction du Parti et détenue incommunicado dans le centre de détention de Hậu Giang pendant près de huit mois, sans accès à un avocat. Le 21 janvier 2021, lors d’une audience qui n’a duré que quatre heures, elle a été condamnée à sept ans de prison pour avoir « fabriqué, stocké ou diffusé des informations, matériaux ou objets dans le but de s’opposer à l’État » (article 117 du Code pénal de 2015). La seule preuve apportée contre elle était cinq posts sur Facebook qui n’avaient reçu que 130 « J’aime » et n’avait été « partagé » que 50 fois.
Au cours des huit mois de sa détention provisoire, la santé mentale et physique de Thủy s’est détériorée. Les autorités pénitentiaires ont refusé toute visite de son fils et l’ont soumise à des conditions de détention extrêmement dures. Elle a été brièvement hospitalisée en 2021 pour des problèmes cardiaques. Định Thị Thu Thuỷ est actuellement détenue à la prison de An Phước, dans la province de Bình Dương.
Trần Thị Tuyết Diệu : une blogueuse qui « fait du tort à la nation »
Trần Thị Tuyết Diệu, née en 1988, est une journaliste et blogueuse. Elle a travaillé dans un journal local de l’État dans sa province natale de Phú Yên avant d’être contrainte de démissionner en 2017. Elle s’est alors installée à Ho Chi Minh Ville en 2019 et est devenue journaliste indépendante, publiant sur les médias sociaux et d’autres plateformes en ligne des articles sur la corruption officielle et d’autres questions sociales. En 2020, elle a été soudainement arrêtée alors qu’elle rendait visite à ses parents à Phú Yên et accusée de « diffamation » contre la direction du parti et de « calomnie » contre l’histoire de la Révolution.
Lors d’un procès de trois heures, le 22 mars 2021, elle a été reconnue coupable de « propagande contre l’État » (article 117 du code pénal). Elle a tenté de se défendre en affirmant que ses blogs n’avaient fait de mal à personne. Mais le tribunal a répondu qu’ils avaient « causé du tort à la nation ». Son avocat a expliqué qu’il s’agit d’une tactique couramment utilisée par les tribunaux vietnamiens pour éviter d’avoir à prouver le préjudice qu’auraient subi des personnes spécifiques. Elle a été condamnée à huit ans de prison. Le verdict a été confirmé en appel en septembre 2021.
Ngô Thị Tố Nhiên : Victime de la répression contre les défenseurs de l’environnement
Ngô Thị Tố Nhiên, 48 ans, est chercheuse et consultante, directrice exécutive du think-tank Vietnam Initiative for Energy Transition Social Enterprise (VIETSE). Elle a travaillé pour plusieurs ministères vietnamiens ainsi que pour des organisations internationales telles que la Banque mondiale, l’Union européenne, l’USAID et les Nations unies. Elle travaille actuellement sur le plan de mise en œuvre du partenariat pour une transition énergétique juste du Vietnam (JETP), un projet de 15,5 milliards de dollars financé par le G7 d’aide à la réduction de la dépendance aux énergies fossiles.
Le 15 septembre 2023, quelques mois après l’arrestation de Hòang Thị Minh Hồng (voir ci-dessous), elle a également été arrêtée et accusée de « appropriation, commerce, destruction (…) de documents d’une agence ou d’une organisation d’État » (article 342 du Code pénal de 2015). La police a fait une descente dans les bureaux de VIETSE qui a, par la suite été contraint de fermer. L’arrestation de Mme Nhiên a été largement dénoncée comme arbitraire et motivée par des raisons politiques, et constitue une nouvelle étape de la répression d’État contre les défenseurs de l’environnement au Vietnam. Si elle est condamnée, elle risque jusqu’à cinq ans de prison.
Hòang Thị Minh Hồng est la fondatrice de CHANGE, une ONG de lutte contre le changement climatique et de défense de l’environnement et de la protection de la vie sauvage. Très médiatisée et boursière de la Fondation Obama, elle a été classée par Forbes en 2019 parmi les 50 femmes les plus influentes du Vietnam. En 2022, elle a été contrainte de fermer CHANGE après des harcèlements continus du gouvernement. Hồng a finalement été arrêtée en juin 2023 pour « évasion fiscale » et condamnée à trois ans de prison en septembre 2023 lors d’un procès qui n’a duré que trois heures.
Phạm Đoan Trang est une écrivaine, journaliste et militante pro-démocratie reconnue et plusieurs fois primée. Elle est la fondatrice du magazine en ligne Luật Khoa. Elle a fréquemment été victime de passages à tabac lors de garde-à-vue tout au long de ses nombreuses années de militantisme. En 2020, Trang a été arrêtée pour « propagande contre l’État » et en décembre 2021, condamnée à neuf ans de prison lors d’un procès inique à Hanoï. Elle est détenue à la prison de An Phước, à 1500 km de son domicile. Elle serait en très mauvaise santé.
Cấn Thị Thêu est une célèbre militante des droits à la terre et une ancienne prisonnière d’opinion. Elle a subi des agressions et harcèlements répétés en raison de ses activités militantes. En mai 2021, Cấn Thị Thêu et son fils Trịnh Bá Tư ont été condamnés à huit ans de prison pour « propagande contre l’État ». Son autre fils, Trịnh Bá Phương, a également été condamné à 10 ans de prison en décembre 2021 pour avoir participé à des manifestations en faveur des droits à la terre. Elle est actuellement détenue à la prison n°5 dans la province de Thanh Hóa.
Trần Thị Xuân, née en 1976, est une défenseure des droits humains et membre de la Fraternité pour la démocratie. Elle était très active dans les œuvres de charité de sa communauté catholique locale, et avait vivement protesté contre la catastrophe écologique due à l’aciérie de Formosa en 2016. Elle a été arrêtée le 17 octobre 2017 et inculpée en vertu de l’article 79 (désormais 109) du Code pénal pour avoir « mené des activités visant à renverser l’administration populaire ». Elle a été détenue incommunicado pendant cinq mois avant son procès, le 12 avril 2018, et n’a donc pas eu d’accès à un avocat ni des moyens pour préparer sa défense. Son procès à huis clos s’est tenu sans aucune annonce préalable à sa famille. Trần Thị Xuân a été condamnée à neuf ans de prison et à cinq ans d’assignation à résidence. Elle est actuellement détenue à la prison n°5 de la province de Thanh Hóa. Elle souffre d’une maladie rénale et serait en mauvaise santé.
La VCHR appelle le Vietnam, en tant que membre du Conseil des droits de l’Homme de l’ONU, État partie au Pacte international relatif aux droits civils et politiques (PIDCP) et signataire de l’Accord de libre-échange UE-Vietnam (EVFTA), à respecter ses obligations internationales en matière de respect des droits humains, y compris les droits de l’environnement et des travailleurs, et à libérer immédiatement toutes les femmes détenues arbitrairement au Vietnam ;
La VCHR appelle tous les États membres de l’ONU participant au quatrième cycle de l’examen périodique universel (EPU) du Vietnam à Genève, le 7 mai 2024 :
- à demander au Vietnam d’abroger d’urgence les dispositions relatives à la « sécurité nationale » du Code pénal de 2015, en particulier les articles 109, 117 et 331 utilisés pour arrêter et incarcérer des personnes pour l’exercice légitime de leurs droits à la liberté d’expression, d’association, de réunion et à la liberté de religion ou de croyance ;
- à exiger la libération des défenseurs des droits humains, des blogueurs et des défenseurs de l’environnement détenus arbitrairement au Vietnam, en nommant chacun d’entre eux.
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