Monsieur le Président de la République,
Le 24 septembre, le Vietnam a fait le procès de la liberté d’expression. Les autorités vietnamiennes annonçaient deux jours de débats, mais comme c’était un procès inique et joué d’avance, cela n’a duré que quelques heures. Les blogueurs fondateurs du « Club des Journalistes Libres » ont été condamnés à de lourdes peines pour « propagande contre la République Socialiste du Vietnam » (article 88 du Code Pénal) : Douze ans de prison et cinq ans d’assignation à résidence pour M. Nguyen Van Hai (Dieu Cay) ; dix ans et trois ans pour Mme Ta Phong Tan ; et quatre ans et trois ans pour M. Phan Thanh Hai.
Leur « crime » consiste en fait en des articles publiés sur internet appelant au respect des droits de l’Homme et à la démocratie, dénonçant la corruption ou exprimant leurs points de vue sur les litiges territoriaux avec la Chine (Archipels des Spratley et des Paracels). Tout ce dont les autorités vietnamiennes ne veulent pas entendre parler.
Le cas de ces trois blogueurs est symptomatique des manipulations et du mépris du gouvernement vietnamien pour les droits de l’Homme, ses obligations internationales et la communauté internationale. Dieu Cay avait été condamné contre toute évidence en 2008 sous le prétexte d’« évasion fiscale » à deux ans et demi de prison. Les autorités avaient alors nié que cette sentence pût être liée à ses articles. En 2010, ces mêmes autorités, jugeant cette détention trop courte, l’avaient prolongée, cette fois pour « propagande contre l’État ». Sa famille a perdu toute trace de lui pendant près d’un an et demi, jusqu’à ce qu’enfin, soit annoncé son procès ainsi que celui de deux de ses collègues, M. Phan Thanh Hai et Mme Ta Phong Tan.
Prévu au mois d’avril 2012, ce procès a été reporté car, selon des sources judiciaires, les autorités vietnamiennes ne s’accordaient pas sur les peines auxquelles les accusés seraient condamnés. Le Bureau de la Sécurité Publique voulait une sentence extrêmement lourde, le Ministère public et les juges se contentant de peines plus « légères ». Leur culpabilité avait déjà été décidée et la présomption d’innocence ne faisait pas partie des préoccupations vietnamiennes.
Dans la même journée du 3 mai 2012, les avocats des accusés apprenaient du procureur que le procès aurait lieu le 15 mai puis qu’il était remis à plus tard. Ce 3 mai était en effet la Journée Mondiale de la Liberté de la Presse et le Président américain Barack Obama avait soulevé à cette occasion, dans son discours, le cas de Dieu Cay.
C’est encore le souci de ne pas susciter trop d’émotion dans la communauté internationale qui a forcé le Vietnam à repousser encore une fois le procès, prévu cette fois début août, après l’immolation de la mère de Ta Phong Tan en protestation de l’injustice qui accablait celle-ci. Elle est décédée le 30 juillet.
Lorsque le procès a finalement eu lieu, la police a verrouillé les alentours du tribunal et arrêté douze militants susceptibles de manifester en faveur des accusés. Une poignée de diplomates et journalistes étrangers ont été autorisés à assister aux procès (du moins à son ouverture et à sa conclusion) à condition de venir sans téléphone portable, sans micro, sans appareil photo, etc.. Par précaution les autorités avaient déployé deux camions chargés de brouiller les téléphones portables. Le procès s’est donc déroulé sans accroc, sans manifestation, sans défense trop véhémente des accusés que l’on a rapidement fait taire : Le micro de Dieu Cay a été coupé dès qu’il a commencé à plaider son droit à la liberté d’expression !
Faire taire. Tel est l’objectif des autorités vietnamiennes. Ce procès est un avertissement à tous les Vietnamiens qui voudraient parler. Ce devrait également être un message clair pour la communauté internationale : Le Vietnam, qui veut siéger au Conseil des Droits de l’Homme de l’ONU en 2014, n’a nullement l’intention de respecter ses engagements internationaux.
Faire taire. Tel est le traitement que vivent quotidiennement tous les Vietnamiens, incarcérés dans leur pays comme dans une prison, à l’image du Patriarche bouddhiste Thich Quang Do, aujourd’hui détenu sans charge dans sa pagode à Saigon, mais ayant connu toutes les formes de privation de liberté (prison, camp de rééducation, exil intérieur, assignation à résidence) quasiment sans interruption depuis 1982. Son crime ? Parler avec détermination et engagement des droits de l’Homme et de la démocratie.
Faire taire. Tel semble être la réussite des autorités vietnamiennes dans leurs relations avec les pays démocratiques. La France par exemple. Ce pays, qui ne cesse de se féliciter d’être la « Patrie des Droits de l’Homme », a été inaudible depuis le début de cette mascarade judiciaire.
La France entretient pourtant des relations anciennes et particulières avec le Vietnam, et coopère activement avec lui dans de nombreux domaines, y compris juridique, avec la Maisons du Droit Vietnamo-Française à Hanoi. Il est vrai que la diplomatie française s’attache à influer sur ses partenaires de façon discrète et amicale, surtout dans le domaine des droits de l’Homme, comme l’avait bien fait comprendre l’entourage du Président Chirac en visite à Hanoi en 1997, lors d’un Sommet de la Francophonie.
Cela fait quinze ans. La situation des droits de l’Homme n’a fait qu’empirer au Vietnam, et, face à la discrétion française, l’on peut légitimement se demander si l’« amitié » n’a pas fini par se faire complicité.
Les Vietnamiens attendent beaucoup de la France, autant de sa société civile que de son gouvernement. Par le passé, la France est, en effet, intervenue à plusieurs reprises pour sauver les Vietnamiens : En 1908 et 1911, la Ligue Française des Droits de l’Homme sauvait Phan Chau Trinh (patriote vietnamien pacifiste) de peloton d’exécution puis du bagne. Plus récemment, à la fin des années 1970 et début des années 1980, la France a chaleureusement accueilli sur son sol de très nombreux réfugiés Boat-people avec la campagne « Un Bateau pour le Vietnam », que j’ai lancée avec nos amis français.
Il est aujourd’hui temps que la France reprenne le flambeau des droits de l’Homme, qu’elle se place du côté des victimes de l’oppression et que figure en priorité sur son agenda le respect des droits et la démocratisation du Vietnam.
Vo Van Ai
Président du Comité Vietnam pour la Défense des Droits de l’Homme
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