Comme preuve que l’ironie se porte bien, le Vietnam est candidat pour un siège au Conseil des Droits de l’Homme de l’ONU en 2014-2016. Quel genre de gardien des droits de l’Homme fera le gouvernement de Hanoi ? Pour un avant-goût, il faut examiner le procès en cours de trois activistes-blogueurs qui nous ramène au siècle orwellien.
Nguyen Van Hai (qui blogue sous le nom de plume de Dieu Cay), Phan Thanh Hai (sous le nom de Anh Ba Saigon) et Ta Phong Tan (ancienne officière de police et ancienne membre du Parti Communiste, qui tient un blog intitulé « Justice et Vérité ») doivent prochainement être jugés pour « crimes contre la sécurité nationale ». Ils sont tous membres du Club des Journalistes Libres, groupe fondé en 2008 pour appeler au droit de créer des médias privés et promouvoir la liberté d’expression et le journalisme indépendant au Vietnam. Dans le système autoritaire à Parti unique de Hanoi, de telles activités pacifiques sont poursuivies pour « propagande contre la République Socialiste du Vietnam » selon l’article 88 du Code pénal.
Le recours à ce chef d’inculpation est malheureusement loin de sortir de l’ordinaire. Ces dernières années, des dizaines d’activistes et de blogueurs ont été emprisonnés pour les mêmes raisons. Mais ces cas sont particulièrement révélateurs.
La semaine dernière, un juge de Ho Chi Minh Ville, qui suit l’affaire de près (bien que n’en étant pas responsable) a informé la communauté juridique locale qu’il serait sage pour les accusés de plaider coupable s’ils voulaient éviter de lourdes peines de prison. S’il ne s’adressait pas directement aux inculpés ou à leurs avocats, il est clair que ce conseil s’adressait, au nom du régime, à eux ainsi qu’à tous les autres activistes potentiels. Bien qu’il y ait des raisons de penser que la police exerce fréquemment pareille pression sur les détenus politiques, c’est la première fois qu’un membre du pouvoir judiciaire le fait.
Si les blogueurs étaient vraiment coupables et étaient jugés par un système judiciaire équitable et transparent, ce serait un bon conseil – les accusés plaident souvent coupables en échange de peines plus légères. Mais aucune de ces conditions n’est remplie ici. D’après ce juge, pour la loi vietnamienne, l’innocence n’est pas suffisante pour protéger les inculpés si ceux-ci plaident non-coupables au procès. Tout défendeur qui clamerait « obstinément » son innocence sera plus lourdement condamné.
Pour ce juge, le fait que le procès des blogueurs ait été retardé – le procès devait avoir lieu la semaine dernière – est tout aussi révélateur. Il suggère en effet que procès a été remis à plus tard parce que le Bureau de la Sécurité Publique (BSP), le Parque populaire (le ministère public) et la Cour n’étaient pas d’accord sur les peines des « délinquants ». Le BSP voudrait des sentences extrêmement lourdes : 14-16 ans pour Dieu Cay, 12-14 ans pour Mme Tan, et sept à neuf ans pour M. Hai. Les autres membres de cette « troïka » souhaiteraient, eux, des peines plus légères… sachant que la question de leur culpabilité est déjà tranchée.
Les trois blogueurs peuvent voir ce qui se passe s’ils ne suivent pas le conseil du juge. Le militant pro-démocratie Tran Huynh Duy Thuc a été condamné à 16 ans d’emprisonnement au mois de janvier 2010 pour crimes contre l’Etat – parmi d’autres choses, il avait écrit sur internet des articles appelant à des réformes politiques – après avoir plaidé non-coupable. Lors du même procès, les autres militants, qui avaient plaidé coupable, dont le défenseur des droits de l’Homme Le Cong Dinh, n’avaient reçu des peines que de trois ans et demi à sept ans de prison.
Si tout est décidé à l’avance, pourquoi le régime tient-il tant à encourager le plaider coupable ? Apparemment, Hanoi croit que le plaider coupable renforce ses déclarations selon lesquelles il n’y a pas de « prisonniers politiques » au Vietnam dans la mesure où les accusés ont admis leurs crimes.
La disparité des peines prononcées n’est déjà pas une mince affaire, mais les conséquences en sont encore plus graves au Vietnam étant donné le traitement réservé par le régime aux prisonniers politiques. Tous les détenus, qu’ils soient politiques ou de droit commun, doivent payer de leur poche les biens de première nécessité, y compris le supplément alimentaire à leurs rations de famine. Mais, alors que les prisonniers de droit commun sont autorisés à recevoir de leurs familles au moins deux millions de dongs vietnamiens (environs 73 euros) chaque mois, les trois blogueurs n’ont été autorisés à recevoir que 500.000 dongs.
C’est à peine suffisant pour le minimum vital. Les prix fixés par la police dans les prisons sont de 400.000 dongs le kilo de sucre, 25.000 dongs pour une boîte de lait concentré, ou encore 300.000 dongs pour une livre de saucisse de porc.
Ce traitement financier discriminatoire ruine la revendication de Hanoi selon laquelle il n’y a pas de prisonniers politiques au Vietnam. En réalité, chacun sait exactement pourquoi des personnes comme Dieu Cay sont en prison : Son activisme embarrasse le régime de Hanoi et ses patrons de Beijing. Dieu Cay a été une première fois arrêté à Ho Chi Minh Ville en 2008 pour avoir manifesté contre la Chine lors du passage de la flamme olympique. Après avoir été emprisonné pendant 30 mois sous prétexte d’évasion fiscale, il a été de nouveau arrêté le jour de sa sortie de prison en octobre 2010 pour « propagande anti-socialiste ». Il a été détenu incommunicado durant les 17 derniers mois.
Dieu Cay et les autres blogueurs ne sont coupables d’aucun « crime » qui serait reconnu comme tel dans un Etat réellement moderne. Ils ont simplement revendiqué les droits garantis par les articles 69 et 53 de la Constitution du Vietnam, qui protègent la liberté d’expression et le droit de soumettre des pétitions au gouvernement. Hanoi doit donc les libérer. Les autres gouvernements devraient pousser Hanoi à le faire s’il veut occuper un siège aussi important pour les droits de l’Homme à l’ONU.
Vo Van Ai est président de Quê Me : Action pour la Démocratie au Vietnam
Traduit par le Comité Vietnam pour la Défense des Droits de l’Homme
Reproduit du The Wall Street Journal Asia ©2012 Dow Jones & Company, Inc. All rights reserved.