PARIS, 15 novembre 2018 (VCHR) – Le Comité Vietnam pour la Défense des Droits de l’Homme (VCHR) se félicite du vote par le Parlement Européen réuni à Strasbourg aujourd’hui d’une résolution sur « le Viêt Nam, notamment la situation des prisonniers politiques ». Ce texte a été proposé conjointement par les six principaux partis politiques représentant l’ensemble du spectre politique européen[i].
La résolution, qui intervient alors que le Vietnam connaît une répression politique sans précédent, « condamne les violations persistantes des droits de l’homme au Viêt Nam, notamment les condamnations, l’intimidation politique, la surveillance, le harcèlement, les agressions et les procès inéquitables subis par des militants politiques, des journalistes, des blogueurs, des membres de l’opposition, des dissidents et des défenseurs des droits de l’homme pour avoir exercé leur liberté d’expression, en ligne ou hors ligne, autant d’actes qui enfreignent manifestement les obligations internationales qui incombent au Viêt Nam ». Elle déplore les récentes condamnations à des peines de 14 à 20 ans d’emprisonnement prononcées contre les défenseurs des droits de l’Homme, notant que plus de 160 militants de la société civile sont en prison et que 16 attendent d’être jugés.
La résolution exprime la profonde préoccupation des députés européens concernant les atteintes à la liberté de religion ou de conviction, en particulier la répression contre les groupes religieux non-reconnus comme l’Église Bouddhique Unifiée du Vietnam, certaines Églises protestantes à la maison et les Chrétiens issus des minorités ethniques des Montagnards, ainsi que la répression contre l’Église catholique. Les parlementaires européens ont appelé le Vietnam à « lever toutes les restrictions qui pèsent sur la liberté de religion et de mettre un terme au harcèlement des communautés religieuses » et à réviser la nouvelle Loi sur les Croyances et la Religion qui « a institutionnalisé l’ingérence dans les affaires religieuses et le contrôle de l’État sur les groupes religieux ».
Le Parlement Européen a fermement condamné le fait que l’État vietnamien use et abuse des « dispositions répressives » pour restreindre les libertés et droits fondamentaux, notamment les dispositions sur la « sécurité nationale » du Code pénal, la législation sur les manifestations et la nouvelle loi sur la cybersécurité. Notant les graves violations de la liberté d’expression tant en ligne qu’hors ligne, le Parlement Européen a réitéré « son appel en faveur d’une interdiction, à l’échelle de l’Union, de l’exportation, de la vente, de la mise à jour et de la maintenance de quelque dispositif de surveillance que ce soit qui puisse être utilisé à des fins de répression, y compris les technologies de surveillance de l’internet, au profit de pays affichant un bilan préoccupant en matière de droits de l’Homme » comme le Vietnam.
Le Président du VCHR Võ Văn Ái s’est réjoui du vote de cette résolution mais a exprimé une profonde déception : « La résolution du Parlement Européen est faussement dure. Si elle dénonce implacablement les terribles violations des droits de l’Homme au Vietnam, elle n’a pas osé faire jouer le seul levier dont dispose l’Europe. Les députés européens auraient dû mettre noir sur blanc la menace de ne pas ratifier l’Accord de Libre-échange si le Vietnam ne mettait pas fin à la répression sauvage et à l’État de non-droit ».
En effet, la résolution d’aujourd’hui a été adoptée alors que l’Union Européenne finalise un Accord de Libre-Échange avec le Vietnam (EVFTA) qui nécessite l’accord du Parlement Européen pour être ratifié. Le traité, considéré comme le plus ambitieux accord de ce type entre l’Union Européenne et un pays en développement, doit supprimer plus de 99% des droits de douanes sur les marchandises. Cependant, depuis le tout début, les droits de l’Homme ont été exclus des négociations. En 2014, la Commission Européenne avait renoncé à faire une étude d’impact sur les droits de l’Homme (HRIA, Human Rights Impact Assessment) pourtant obligatoire avant toute négociation. A la suite d’une plainte du VCHR et de la FIDH, la Médiatrice Européenne Emily O’Reilly avait conclu, le 26 février 2016, que le défaut d’étude d’impact constituait de la part de la Commission Européenne un cas de « mauvaise gestion ». Malgré cela, la Commission Européenne avait persisté à continuer les négociations, visant une ratification rapide de l’accord.
Alors que la répression s’intensifie au Vietnam, de nombreux députés européens sont préoccupés par l’absence de dispositions et de mécanismes de protection des droits de l’Homme dans l’accord, et par l’absence évidente de volonté politique des autorités vietnamiennes de respecter les droits fondamentaux. En février 2017, lors d’une visite au Vietnam, une délégation de la Sous-Commission des Droits de l’Homme du Parlement Européen avait pu observer les graves atteintes à la liberté de la presse, à la liberté d’expression et à la liberté de religion ou de conviction. Son président, Pier Antonio Panzeri, avait déclaré lors d’une conférence de presse à Hanoi que « nous voulons vraiment approuver l’accord de libre-échange, mais nous avons besoin de progrès dans le domaine des droits humains et des droits sociaux. Pour l’heure, les progrès n’ont pas été faits et nous avons dit aux autorités qu’il serait extrêmement difficile de l’approuver dans ces circonstances ».
Le 17 septembre 2018, 32 députés européens des différents groupes politiques ont écrit à Haute représentante pour les affaires étrangères et la politique de sécurité de l’Union Européenne Federica Mogherini et à la Commissaire européenne Cecilia Malmström pour les presser de « pousser le Vietnam à améliorer sérieusement son bilan en matière de droits de l’Homme avant la possible ratification de l’Accord de Libre-Échange Union Européenne-Vietnam ». Constatant que « le bilan actuel du Vietnam en matière de droits de l’Homme […] jette de sérieux doute quant à l’engagement déclaré du pays à respecter les droits de l’Homme », les 32 députés européens ont posé un certain nombre de critères auxquels le Vietnam devrait répondre avant que l’EVFTA ne soit soumis au Parlement Européen, comme la libération des prisonniers de conscience, l’adhésion du Vietnam aux conventions fondamentales de l’OIT, la reconnaissance des syndicats libres, l’abrogation des dispositions du Code pénal sur la sécurité nationale et le respect de la liberté de religion ou de conviction.
« A moins que le Vietnam fasse des efforts en toute bonne foi pour régler ces problèmes de droits de l’Homme et fasse la démonstration d’améliorations concrètes et de son engagement à respecter tous les droits humains avant le vote du Parlement, il sera difficile pour nous de donner notre consentement à l’accord », écrivaient-ils.
Le 7 novembre 2018, la FIDH et le VCHR ont envoyé une Lettre Ouverte à la Commissaire Cecilia Malmström dénonçant le fait que l’Accord UE-Vietnam sur la Protection des Investissements (IPA) — accord qui a été détaché de l’EVFTA — viole les obligations de l’Union Européenne en matière de droits de l’Homme en ne prenant aucunement compte des libertés fondamentales. Les deux organisations ont pressé la Commission Européenne de négocier un protocole additionnel à l’IPA pour mettre en place un mécanisme indépendant de surveillance et traitement des plaintes, pour obliger les parties à protéger les organisations de la société civile qui s’occupent des violations des droits de l’Homme liées au commerce et aux investissements, et pour garantir le respect des normes et obligations en matière de droits de l’Homme.
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[i] Groupe du Parti populaire européen (Démocrates-Chrétiens) (PPE), Groupe de l’Alliance Progressiste des Socialistes et Démocrates au Parlement européen (S&D), Groupe des Conservateurs et Réformistes européens (ECR), Groupe Alliance des démocrates et des libéraux pour l’Europe (ALDE), Groupe des Verts/Alliance libre européenne (Verts/ALE), Groupe Europe de la liberté et de la démocratie directe
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