Le Bureau International d’Information Bouddhiste (BIIB) vient de recevoir une déclaration du dissident bouddhiste vietnamien Thich Tri Luc (nom séculier Pham Van Tuong) avec la demande de la rendre public auprès de la presse internationale. Envoyée de Suède, qui lui a octroyé l’asile politique, la déclaration expose les opinions de Thich Tri Luc et révèle les conditions dans lesquelles il a été exilé du Vietnam.
L’ancien bonze et toujours membre de l’Eglise Bouddhique Unifiée du Vietnam (EBUV, Eglise traditionnelle, indépendante, interdite depuis 1981) Thich Tri Luc (50 ans) avait fui le Vietnam vers le Cambodge en avril 2002 afin d’échapper aux persécutions religieuses. Bien que le Haut-Commissariat aux Réfugiés des Nations Unies lui eût reconnu le statut de réfugié politique, il avait été kidnappé par des agents des Sécurités cambodgienne et vietnamienne le 25 juillet 2002, à Phnom Penh et rapatrié de force au Vietnam où il a été détenu au secret pendant presque deux ans. Le Vietnam a nié avoir la moindre information sur le lieu où se trouvait Thich Tri Luc jusqu’à ce que le BIIB révèle qu’il était détenu dans la prison B34 à Ho Chi Minh Ville (Saigon). Le 12 mars 2004, il a été jugé par le Tribunal populaire de Ho Chi Minh Ville et condamné à 20 mois de prison pour avoir « fui le pays dans l’intention de s’opposer au gouvernement du peuple ». Il avait déjà passé plus de 19 mois en détention sans procès. A sa libération, en tant que réfugié reconnu par les Nations Unies, Thich Tri Luc a été autorisé à quitter le Vietnam et à s’installer en Suède, où il est arrivé le 23 juin 2004.
Dans sa déclaration, Thich Tri Luc a réitéré son soutien à l’EBUV qui, écrit-il, « a été interdite et systématiquement réprimée par les autorités communistes depuis qu’elles ont pris le pouvoir en 1975 ». « Comme trop de bonzes et de nonnes de l’EBUV, j’ai subi les cruels humiliations, harcèlements et emprisonnements de la part du régime répressif communiste. Pour la première fois depuis plus d’une décennie, j’ai pu respirer ma première bouffée de liberté et de démocratie, ici en Suède, ce pays pacifique où tous jouissent réellement des droits de l’Homme ».
Il exprime son « infinie gratitude au gouvernement et au peuple suédois, à ce pays scandinave qui a généreusement offert l’asile à de si nombreux Vietnamiens fuyant les persécutions et recherchant la liberté au delà des mers. Pour eux tous, ce pays est une seconde patrie. Et maintenant, c’est à mon tour d’être sauvé par la Suède, après avoir passé tant de nuits dans les prisons du Vietnam communiste ». Il remercie également la presse internationale, les gouvernements et toutes les organisations de défense des droits de l’Homme « à qui je dois la liberté ». « Du fond de mon cœur, je remercie la Commission des Droits de l’Homme de l’ONU, le Haut-Commissariat aux Réfugiés des Nations Unies (UNHCR), les organisations de protection des droits de l’Homme comme la Fédération Internationale des Ligues des Droits de l’Homme (FIDH), Amnesty International, Human Rights Watch et le Comité Vietnam pour la Défense des Droits de l’Homme, etc.. J’exprime aussi ma profonde gratitude à tous les Membres du Congrès et des Parlements des pays démocratiques tout autour du monde qui ont œuvrer sans relâche à ma libération ».
Parlant librement pour la première fois, Thich Tri Luc a exposé la façon avec laquelle les cadres de la Sécurité vietnamienne l’ont forcé au silence durant son procès en échange de sa liberté : « Avant le procès, les cadres du Ministère de la Sécurité Publique sont venus me voir à plusieurs reprises dans la prison pour « négocier ». Ils m’ont dit de ne pas déclarer publiquement lors du procès que j’avais été arrêté à Phnom Penh et de plaider coupable d’avoir violer la loi, c’est-à-dire d’avoir « fui à l’étranger dans l’intention de m’opposer au gouvernement du peuple ». En retour, ils ont promis de me libérer immédiatement après le procès, même si la peine légale pour ce crime est, comme l’indique l’acte d’accusation, un emprisonnement de 3 à 12 ans. Je ne pouvais m’empêcher de rire en pensant à cela : qui a déjà entendu parler d’un gouvernement qui négocie le silence d’un prisonnier avant le procès ? »
Après la libération de Thich Tri Luc, les autorités vietnamiennes ont été obligées de permettre au HCR de le placer sous la protection des Nations Unies. Elles ont toutefois continué à menacer et à faire pression sur l’ancien bonze : « Dans la mesure où mon statut de réfugié délivré le 28 juin 2002 était toujours valide, les autorités vietnamiennes… étaient obligées de me délivrer un passeport et de me permettre de quitter le pays. C’était leur devoir, elles ne m’ont fait aucune faveur. Au contraire, avant que je ne quitte le Vietnam, elles m’ont fait écrire une déclaration dans laquelle je promettais qu’après mon expatriation, je n’entreprendrais aucune action visant à m’opposer à la République Socialiste du Vietnam ».
Thich Tri Luc a été obligé d’écrire cet engagement et de la remettre à la Sécurité de Ho Chi Minh Ville. Toutefois, a-t-il dit, cela ne l’empêchait pas « de faire tout son possible pour soutenir l’EBUV ».
« Aujourd’hui, je vis dans un pays libre et démocratique et je continuerai à soutenir l’EBUV, même si je ne suis plus un bonze. Je continuerai à presser le gouvernement de Hanoi à respecter la liberté religieuse, les droits de l’Homme et la démocratie. Je demande au Vietnam de libérer immédiatement et inconditionnellement tous les prisonniers de conscience qui sont détenus pour l’expression pacifique de leurs opinions politiques. A mon avis, ces activités ne visent absolument pas à s’opposer à la République Socialiste du Vietnam. Elle ne sont pas des activités « politiques » visant à menacer les intérêts de l’Etat-Parti, comme certains tentent de l’insinuer. Je demande simplement que l’on nous rende ce que les autorités communistes nous ont confisqué illégalement et injustement ».
Thich Tri Luc rappelle les persécutions qu’il a enduré au Vietnam du fait de ses activités pacifiques religieuses et humanitaires. « J’ai été détenu pendant 30 mois en prison et 5 ans en résidence surveillée au Vietnam du simple fait d’avoir participé à une mission humanitaire de l’EBUV pour aider les victimes des inondations dans le Delta du Mékong en 1994. Après avoir purgé ma peine, les autorités ont continué à me harceler et à me priver de mes droits fondamentaux. Finalement, je n’ai pas eu d’autre choix que de fuir et chercher refuge au Cambodge, le 19 avril 2002. Le droit de chercher asile est garanti par l’article 14 de la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme adoptée le 10 décembre 1948 qui énonce que « toute personne a le droit de chercher asile et de bénéficier de l’asile en d’autres pays » ».
Il transmet ses « plus profonds respects au Patriarche de l’EBUV Thich Huyen Quang, au Très Vénérable Thich Quang Do et à tous les dignitaires de l’EBUV… Je me prosterne respectueusement devant mes aînés et leur souhaite force et courage pour guider l’EBUV en cette période de tumultes ».
« L’EBUV est l’héritière d’une tradition multi-séculaire portée par les générations de nos ancêtres. Elle n’a jamais été inféodée à un quelconque pouvoir politique. L’EBUV est profondément attachée au peuple vietnamien et inexorablement liée à son destin… J’ai fait le choix de suivre la voie juste tracée par l’EBUV et je fais vœu de continuer… L’esprit de l’Eglise Bouddhique Unifiée du Vietnam est indomptable ».