BRUXELLES, 3 décembre 2019 (VCHR) – Lors de la conférence sur “les droits de l’Homme et l’Accord de Libre-échange (EVFTA)”, présidée par la députée européenne Julie Ward (Groupe S&D) et organisée par le Comité Vietnam pour la Défense des Droits de l’Homme (VCHR) et Christian Solidarity Worldwide (CSW), les organisations et personnalités de la société civile ont pressé les députés européens de ne pas ratifier l’EVFTA tant que le Vietnam n’aura pas garanti réellement et concrètement les droits de l’Homme.
Lors de cette conférence, le VCHR a dévoilé un message vidéo préparé spécialement pour l’occasion par Phạm Chí Dũng, journaliste indépendant et célèbre dissident vietnamien. Le 21 novembre 2019, deux jours après avoir envoyé au VCHR cette vidéo, Phạm Chí Dũng a été arrêté au Vietnam.
Cette conférence se tient alors que le Parlement Européen se lance dans une étape cruciale de discussion sur l’EVFTA, un des plus ambitieux accord commercial jamais conclu entre l’UE et un pays en développement, et l’Accord sur la Protection des Investissements (IPA). La Sous-Commission « Droits de l’Homme » se réunit en effet aujourd’hui pour forger sa position sur la question et des députés européens représentant tout l’éventail politique du PE débattent de la position à adopter en vue du vote sur la ratification qui doit se tenir au début de l’année 2020. Signés à Hanoi en juin 2019, l’EVFTA et l’IPA doivent recevoir l’autorisation de ratification du Parlement Européen avant de pouvoir entrer en vigueur.
La Vice-Présidente du VCHR Penelope Faulkner a dit que, pour le VCHR, l’EVFTA avait « un air de déjà-vu ». Tout au long des plus de deux décennies de relations commerciales UE-Vietnam, avec un premier accord en 1995 et un accord cadre de Coopération et de Partenariat signé en 2012, la Commission Européenne n’a eu de cesse de minimiser systématiquement l’effroyable bilan des droits de l’Homme du Vietnam et d’insister sur le fait que ces accords donnaient à l’UE des leviers pour pousser aux réformes. « Avec le premier accord, nous avions de l’espoir. Avec le deuxième, nous avions des doutes. Avec l’EVFTA, nous ne sommes pas du tout convaincus », a-t-elle dit aux députés européens.
Elle a également mis en garde l’UE contre toute précipitation à finaliser l’EVFTA dans le contexte d’une escalade effrénée de la répression politique au Vietnam. Les harcèlements, passages à tabac et arrestations des défenseurs des droits de l’Homme, fidèles religieux, blogueurs et journalistes se sont drastiquement multipliés ; et les lourdes peines d’emprisonnement (entre 15 et 20 ans) pour des accusations farfelues d’atteintes à la « sécurité nationale » sont toujours plus fréquentes. Dans le même temps, le Vietnam a adopté tout un arsenal de lois, comme le Code pénal, la Loi sur la Croyance et la Religion, la Loi sur la Presse, la Loi sur la Cybersécurité, la Loi sur l’Accès à l’Information, etc., qui criminalise l’exercice des droits de l’Homme. « Le VCHR et nos collègues des autres ONG rapportent régulièrement ces violations pour les dialogues UE-Vietnam sur les droits de l’Homme. L’UE ne peut pas dire qu’elle ne savait pas ». Le Parlement Européen trahirait le noyau dur de ses valeurs démocratiques et des droits humains s’il permettait la ratification de ces accords sans aucun signe de bonne volonté de la part de Hanoi, a-t-elle ajouté.
Dans son message vidéo, l’ancien membre du Parti Communiste Phạm Chí Dũng a observé que l’EVFTA et l’IPA bénéficieront bien plus au Vietnam qu’à l’UE, étant donné le déficit commercial de l’Europe avec le Vietnam (20 à 25 milliards de dollars US). Il décrit en outre les huit dialogues UE-Vietnam sur les droits de l’Homme comme « improductifs », avec un taux de recommandations ignorées par le Vietnam de 95%. Il rejette par ailleurs l’idée selon laquelle le Code du travail amendé constitue un progrès. Prenant le contrepied de ce qui a été dit, il constate que ce Code ne fait aucune mention de l’établissement de syndicats libres.
« Le terme “syndicat indépendant” n’est pas inclus dans la révision du Code du travail du Vietnam et de la Loi sur les Syndicats », a-t-il dit. « Hanoi considère les syndicats indépendants comme “réactionnaires” du fait du rôle qu’a eu le syndicat polonais Solidarność lors de la chute du système communiste en Pologne en 1989 ».
La promesse de Hanoi d’envisager la ratification des Conventions de l’OIT 87 sur la liberté syndicale et la protection du droit syndical et 105 sur l’abolition du travail forcé durant les années 2023-2025 n’est, selon lui, qu’un « tour » pour gagner du temps et lasser l’UE et l’OIT. « Il n’y a pas de plan prévisionnel détaillé pour la ratification ni aucune garantie que Hanoi respectera ses engagements », prévient-il.
Phạm Chí Dũng conclut son message en appelant le Parlement Européen à retarder la ratification de l’EVFTA et de l’IPA « jusqu’à que le Vietnam ait rempli ses engagements en matière de droits de l’Homme », et en avertissant que ces accords commerciaux ne mettront pas fin à la répression et l’intolérance de Hanoi.
« Le régime va probablement emprisonner plus de dissidents une fois l’EVFTA et l’IPA ratifiés par l’UE. Les célèbres dissidents qui s’opposent à l’EVFTA du fait du mauvais bilan du Vietnam concernant les droits de l’Homme et ceux qui se dressent contre la Chine seront condamnés à de lourdes peines de prison ».
Ces paroles poignantes étaient prémonitoires. Le 10 novembre 2019, Phạm Chí Dũng lançait une Pétition au Parlement Européen exprimant ses préoccupations et le 19 novembre, envoyait au VCHR cette vidéo. Il a été arrêté le 21 novembre à son domicile à Saigon (Ho Chi Minh Ville). Il est poursuivi pour « fabrication, stockage, ou diffusion d’informations, de documents, de contenus contre la République Socialiste du Vietnam » (article 117 du Code pénal). S’il est reconnu coupable, il risque jusqu’à 20 ans de prison.
Lors de la conférence, le VCHR et la FIDH ont également annoncé avoir déposé, le vendredi 29 novembre 2019, une plainte formelle auprès de la Médiatrice Européenne dans laquelle ils accusent la Commission Européenne de « mauvaise administration » en cherchant à conclure l’EVFTA et l’IPA sans considération pour les droits de l’Homme et en n’incluant pas des mécanismes de contrôle dans ces accords en dépit de la Résolution sans ambiguïté du Parlement Européen de 2018. La représentante de la FIDH auprès de l’UE, Gaelle Dusepulchre, a déclaré : « L’UE a une obligation immédiate d’établir un mécanisme et contrôle et de plainte qui pourra surveiller l’impact de l’accord sur les droits humains, faciliter l’accès des personnes à des voies de recours appropriées et assurer des garanties de non-répétition. [Ce mécanisme] doit offrir des garanties procédurales, trancher les requêtes soumises de manière effective et motiver ses décisions ». C’est la seconde plainte que déposent la FIDH et le VCHR auprès de la Médiatrice Européenne. La première plainte, en 2014, avait dénoncé la Commission Européenne pour ne pas avoir conduit d’« évaluation d’impact sur les droits de l’Homme », qui est obligatoire pour tous les accords commerciaux de l’UE. En 2016, la Médiatrice Européenne Emily O’Reilly avait confirmé le bien-fondé de la plainte et ordonné à la Commission de procéder immédiatement à cette évaluation. Bien que la Commission ne se fût pas pliée à sa décision dans le cas du Vietnam, elle a pris en compte les recommandations de la FIDH et du VCHR pour les nouveaux accords commerciaux pour lesquels elle mène dès lors des études d’impact.
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