Alors que le Premier Ministre vietnamien Phan Van Khai s’embarque pour sa toute première visite aux Etats-Unis, M. Vo Van Ai, Président du Comité Vietnam pour la Défense des Droits de l’Homme (Paris), a envoyé une lettre au Président américain George W. Bush l’appelant à exiger des progrès concrets en matière de liberté religieuse et de droits de l’Homme, lorsqu’il rencontrera le Premier Ministre Phan Van Khai, mardi 21 juin. M. Ai a insisté pour que le Président Bush demande la libération des prisonniers politiques et religieux, le rétablissement du statut légal de l’Eglise Bouddhique Unifiée du Vietnam (EBUV, Eglise historique, indépendante, interdite depuis 1981) et un véritable processus de démocratisation au Vietnam (voir le texte intégral plus bas).
Le lundi 20 juin 2005, la veille de cette rencontre au sommet, M. Vo Van Ai est invité à témoigner à une séance d’audience du Congrès sur “les Droits de l’Homme au Vietnam” devant le Comité des Relations Internationales de la Chambre des Représentants. Cette audience doit se tenir le 20 juin 2005, à 14h00, salle 2172 du Rayburn House Office Building, à Washington DC. Vo Van Ai témoignera sur la situation générale des droits de l’Homme et sur la question des Bouddhistes et des autres religions non-reconnues au Vietnam.
Monsieur le Président,
Dans quelques jours, vous allez rencontrer le Premier Ministre vietnamien Phan Van Khai, le visiteur du plus haut rang à venir aux Etats-Unis depuis la fin de la guerre du Vietnam. Les Vietnamiens au pays et à l’étranger suivront cette visite avec la plus grande attention, mais également la plus grande préoccupation.
En démocratie, il est naturel pour les hommes d’Etat de se rencontrer pour renforcer les liens entre les peuples qu’ils représentent. Mais le Vietnam n’est pas une démocratie et Phan Van Khai n’est pas un représentant élu du peuple. Il est un cadre d’un Etat à Parti unique, d’un régime répressif qui étouffe toute opposition et impose le monopole politique d’un Parti Communiste de 2 millions de membres sur les 81 millions de Vietnamiens. Le Premier Ministre Phan Van Khai vient aux Etats-Unis non pour exprimer les préoccupations ou les aspirations de ses citoyens mais ceux du Parti Communiste du Vietnam au pouvoir.
L’Amérique s’est toujours élevée pour la démocratie et la liberté. Cette année, dans votre mémorable second discours d’investiture, vous vous êtes solennellement engagé à conforter cette tradition en déclarant : « quiconque vit sous la tyrannie et dans le désespoir doit le savoir : Les Etats-Unis n’ignoreront pas votre oppression, ni vos oppresseurs. Lorsque vous vous lèverez pour défendre votre liberté, nous serons à vos côtés ».
Aujourd’hui, des millions de Vietnamiens souffrent de l’oppression et des harcèlements parce qu’ils ont voulu défendre la liberté, la démocratie et les droits de l’Homme. J’en appelle à vous, Monsieur le Président, pour tenir compte de la voix des oppressés, pas de leurs oppresseurs, lors de votre prochaine rencontre avec le Premier Ministre Phan Van Khai.
Durant votre présidence, vous avez prouvé que les pressions diplomatiques peuvent apporter des résultats concrets. Au mois de septembre 2004, pour la toute première fois, vous avez placé le Vietnam sur la liste noire des « pays particulièrement préoccupants » en matière de liberté religieuse (CPC, « Country of Particular Concern ») du fait des violations massives de la liberté religieuse. En réponse, le Vietnam a fait plusieurs gestes et promesses de réformes religieuses. Ces promesses sont les bienvenues, mais elles ne sont pas des actes et nous craignons qu’elles ne restent lettre morte, à moins que les Etats-Unis ne continuent à faire pression sur le Vietnam pour des progrès concrets et tangibles de la liberté religieuse et des droits de l’Homme.
Le Vietnam est passé maître dans l’art de tromper son peuple et la communauté internationale. Le Premier Ministre Phan Van Khai lui-même symbolise les promesses non tenues du régime vietnamien. Au mois d’avril 2003, il avait soulevé l’espoir d’une nouvelle tolérance religieuse en recevant l’éminent dissident Thich Huyen Quang, Patriarche de l’Eglise Bouddhique Unifiée du Vietnam (EBUV) à Hanoi. Mais quelques mois plus tard, au mois d’octobre 2003, cet espoir s’est brisé lorsque le gouvernement a lancé une des plus brutale campagne de répression contre l’EBUV, plaçant onze hauts dignitaires de l’EBUV en détention, en isolant des centaines de pagodes et en intimidant les fidèles de l’EBUV. Aujourd’hui, la répression continue contre l’EBUV interdite. En dépit des protestations du Groupe de travail des Nations Unies sur la détention arbitraire, le Patriarche Thich Huyen Quang (87 ans) et son adjoint, le Vénérable Thich Quang Do (76 ans), restent en captivité dans leurs pagodes respectives après plus de 25 ans en détention sans procès. Le bonze de l’EBUV Thich Thien Minh, relâché lors d’une amnistie gouvernementale après un séjour de 26 ans dans un camp de rééducation, a récemment reçu des menaces de mort simplement pour avoir dénoncé, dans les médias étrangers, les conditions de détention inhumaines au Vietnam.
Ce ne sont pas seulement les Bouddhistes, mais également les Protestants, les Ménonnites, les Catholiques, les Bouddhistes Hoa Hao et les Cao Dai qui subissent harcèlements et emprisonnement aujourd’hui. Les Hmong chrétiens sont assassinés. Les Montagnards protestants qui retournent au Vietnam après avoir fui au Cambodge pour échapper aux persécutions sont l’objet de mauvais traitements et d’arrestations, en dépit des engagements du Vietnam d’assurer leur sécurité et d’interdire toutes représailles. En violation du « Mémorandum d’accord » signé avec le Haut-Commissaire aux Réfugiés des Nations Unies, le Vietnam refuse à tout observateur l’accès aux Hauts-Plateaux du Centre du pays pour contrôler la situation des Montagnards rapatriés.
Ces violations de la liberté religieuse ne sont pas des incidents isolés. Elles découlent d’une politique délibérée orchestrée au plus haut niveau du Parti Communiste et de l’Etat. Mon Comité est en possession d’un document secret édité par l’Institut des Sciences Policières de Hanoi qui donne explicitement instruction aux policiers et aux cadres compétents en matière religieuse de démanteler et de détruire tous les mouvements religieux non reconnus perçus comme responsable du crime de « l’évolution pacifique » contre le régime. Concernant le Bouddhisme, il donne comme directive de ne promouvoir que sa version d’Etat, le « Bouddhisme à orientation socialiste », et à concerter les efforts pour « détruire [l’EBUV] une bonne fois pour toute ».
La liberté d’expression, d’opinion et de presse sont hors-la-loi. Tous les 600 journaux vietnamiens sont contrôlés par l’Etat et toute expression indépendante est réprimée. Le Vietnam emploie non seulement la coercition d’Etat mais également les lois pour étouffer toute critique et dissidence. Avec le financement des donateurs internationaux, dont les Etats-Unis, le Vietnam a inauguré une réforme légale de 10 ans, la Stratégie de Développement du Système Légal, qui vise à impose un règne par la loi — et non un Etat de droit — pour renforcer le contrôle politique. Sous l’empire des lois vietnamiennes de « sécurité nationale », les citoyens peuvent être détenus en « détention administrative » sans procès (décret 31/CP) ; les cyberdissidents sont passibles de la peine de mort pour « espionnage » simplement pour avoir fait circuler pacifiquement des opinions divergentes (article 80 du Code pénal vietnamien) ; les manifestations non-violentes devant les bâtiments publics peuvent être punies d’arrestation (décret 38/2005/ND-CP, 18 mars 2005).
La législation restrictive comprends également la nouvelle Ordonnance sur les Religions qui est entrée en vigueur le 15 novembre 2004. Le Vietnam prétend que cette Ordonnance garantit la liberté religieuse et s’en sert pour demander à être retiré de la liste des CPC. En fait, cette Ordonnance est totalement incompatible avec les normes internationales des droits de l’Homme et met en place des contrôles encore plus stricts sur la liberté religieuse au Vietnam. Sous l’empire de cette Ordonnance, l’éducation religieuse est subordonnée aux diktats « patriotiques » du Parti Communiste ; les cultes religieux ne peuvent être rendus que dans des établissements approuvés [par les autorités] ; il est interdit « d’abuser » de la liberté religieuse pour contrevenir aux politiques du Parti Communiste (article 8§2).
Monsieur le Président,
Vous vous êtes profondément engagé dans la recherche des valeurs religieuses, tant dans votre vie personnelle que politique, et j’attire votre attention sur la liberté religieuse au Vietnam. La liberté religieuse est la clef de la paix et de la stabilité, en particulier en Asie avec sa diversité de grandes religions comme le Bouddhisme, l’Hindouisme, le Confucianisme, le Taoisme, l’Islam… La religion majoritaire du Vietnam, le Bouddhisme qui est suivi par 80% de la population, est une religion de paix, de tolérance et de compassion. Il a également une longue tradition d’activisme social et, depuis 2000 ans, s’est engagé dans des mouvements pour la liberté, la justice sociale et le bien-être du peuple. En réprimant le Bouddhisme et toutes les autres religions « non-reconnues », les autorités écrasent les seuls mouvements qui restent de la société civile et étouffe le développement du peuple pour des générations à venir.
J’en appelle respectueusement à vous pour soulever ces graves préoccupations lors de vos rencontres avec le Premier Ministre vietnamien et pour demander un véritable processus de démocratisation au Vietnam. En particulier, le Vietnam devrait :
– abroger toute la législation restrictive, dont le décret 31/CP sur la « détention administrative » et le décret 38/2005/ND-CP sur l’interdiction des manifestations, et s’assurer que toutes les lois adoptées dans le cadre de la Stratégie de Développement du Système Légal sont conformes avec le Pacte international relatif aux droits civils et politiques, dont le Vietnam est Parte ;
– libérer tous ceux qui sont en prison ou assignés à résidence du fait de leurs convictions non-violentes politiques ou religieuses, comme le Patriarche de l’EBUV Thich Huyen Quang, le Très Vénérable Thich Quang Do et les neuf autres hauts dignitaires de l’EBUV, les cyberdissidents Pham Hong Son, Nguyen Khac Toan, Nguyen Vu Binh et le pasteur Nguyen Hong Quang ;
– rétablir le statut légitime de l’Eglise Bouddhique Unifiée du Vietnam, aujourd’hui interdite, et de toutes les autres religions non-reconnues, et leur permettre de contribuer en pleine liberté au bien-être social et spirituel du peuple vietnamien,
– autoriser la publication de journaux et des médias privés, ainsi que la création d’associations indépendantes comme des syndicats libres ou des organisations non-gouvernementales, afin d’encourager l’émergence d’une société civile vivante et dynamique au Vietnam.
Les Accords paix de Paris ont mis un terme à la guerre du Vietnam, mais le Vietnam en a hérité un régime vindicatif et totalitaire. Trente ans après, le peuple vietnamien n’a toujours pas trouvé la paix. J’en appelle aujourd’hui à vous, Monsieur le Président, pour faire de la liberté religieuse et des droits de l’Homme la pierre angulaire de vos relations bilatérales et ainsi apporter la liberté et la démocratie au peuple du Vietnam.
Avec mes respects,
Président
Quê Me : Action pour la Démocratie au Vietnam
Porte-parole international
Eglise Bouddhique Unifiée du Vietnam