La revue de la Police An Ninh The Gioi (Le Monde de la Sécurité Publique, n°651, 5 mai 2007) a publié en première page un article concernant la visite du Vice-Ministre de la Sécurité Publique (Ministère de l’Intérieur) Nguyen Van Huong au Très Vénérable Thich Huyen Quang (87 ans), Patriarche de l’Eglise Bouddhique Unifiée du Vietnam (EBUV, Eglise historique, indépendante, interdite depuis 1981), à l’occasion des célébrations du 30 avril. Intitulé « Le Lieutenant-Général Nguyen Van Huong rend visite au Très Vénérable Thich Huyen Quang : Une rencontre amicale et ouverte », avec une photo du haut-cadre et du bonze bouddhiste détenu, l’article rapporte leur conversation durant laquelle le Vice-Ministre Huong prévient le Patriarche Thich Huyen Quang des « mauvaises intentions » de ses collègues bouddhistes, notamment le numéro deux de l’EBUV Thich Quang Do et le porte-parole international de l’EBUV Vo Van Ai. « Réfutant les fausses informations répandues par Vo van Ai, Président du Comité Vietnam pour la Défense des Droits de l’Homme et Directeur du Bureau International d’Information Bouddhiste, et par M. Quang Do qui prétendent que Thich Huyen Quang est assigné à résidence, isolé et empêché de voyager pour recevoir des soins médicaux, le Lieutenant-Général Nguyen Van Huong a affirmé que le Patriarche est libre d’aller quand il veut à Hanoi, à Ho Chi Minh Ville ou même à l’étranger… »
Justifiant l’ordre du Comité populaire de Binh Dinh interdisant à Thich Huyen Quang de voyager à Saigon pour se faire soigner en décembre 2006, l’article explique : « A ce moment, les disciples du Vénérable Thich Huyen Quang, Thich Minh Tuan et Thich Dong Tho, ne voulaient pas qu’il voyage car ils étaient inquiets pour sa santé, c’est pourquoi ils ont dit que les autorités ne le laisseraient pas partir. Mais ce n’était pas vrai. Quang Do et Vo Van Ai ont délibérément déformé cette information et tenté d’utiliser le prestige du Vénérable Huyen Quang pour mener à bien leurs sombres projets et s’opposer au Bouddhisme d’Etat… »
Le plus surprenant est le compte rendu par le journal de l’» explication » du Vice-Ministre Huong sur les affaires bouddhistes au Patriarche de l’EBUV. « Le Lieutenant-Général Nguyen Van Huong a franchement dit au Vénérable Thich Huyen Quang : Quang Do n’est pas un vrai bonze. Il utilise la religion pour dissimuler ses buts personnels et ses ambitions politiques. Il s’est dernièrement associé à Vo Van Ai et à un certain nombre de groupes réactionnaires en exil et de forces hostiles à l’intérieur du Vietnam pour s’opposer à l’Etat. Et plus récemment, Quang Do a même abusé de votre nom pour écrire un faux message du Vesak qui donnait de fausses informations et s’opposait à l’Etat… » Cet article se réfère au Message du Vesak de l’année bouddhique 2551 qu’évoque plus bas le présent communiqué, envoyé de Binh Dinh au Bureau International d’Information Bouddhiste (BIIB). Les « fausses informations » qui dérangent le Lt-Général Huong sont la déclaration claire et nette du Patriarche Thich Huyen Quang selon laquelle il est effectivement détenu en résidence surveillée et privé de ses libertés fondamentales.
Les rapports provenant de Binh Dinh et reçus ce matin, ainsi que la conversation téléphonique entre le Patriarche de l’EBUV Thich Huyen Quang et le Directeur du BIIB Vo Van Ai à Paris, le 8 mai 2007, révèlent que la rencontre s’est déroulée de façon bien différente de celle exposée dans l’article de la presse officielle. « Lundi dernier, 30 avril, le Colonel Che Truong, Directeur de la Sécurité de Binh Dinh, a demandé si le Général Nguyen Van Huong pouvait me rendre visite », a expliqué le Patriarche à Vo Van Ai. « J’ai demandé s’il y avait un problème. Il a dit que non, qu’il s’agissait juste d’une visite de courtoisie. Je l’ai reçu une demi-heure. Nous avons simplement échangé des civilités, rien de plus. Il a dit que j’étais libre de voyager quand je le voudrais, que personne ne m’arrêterait. Par deux fois auparavant, les autorités m’ont invité à être le Bonze Supérieur de la Pagode Soc Son (dans le nord). J’ai refusé. Si j’étais envoyé là-bas, ce serait comme une prison ou un exil intérieur, exactement comme à Nghia Hanh où j’étais détenu avant. Tout dans cet article est faux. Dites aux Bouddhistes de ne pas en croire un mot ! »
Avant de partir, le Colonel Che Truong a dit à Thich Minh Tuan, le disciple du Patriarche, qu’il pouvait emmener le Patriarche n’importe où, « sauf auprès de Quang Do ». Lorsque le bonze a demandé pourquoi, il a répliqué : « Parce que Quang Do a partie liée avec les Américains ». Le Patriarche Thich Huyen Quang a alors demandé : « Je pensais que le gouvernement avait aussi partie liée avec les Américains, non ? Alors parfois, c’est bien de partie liée avec les Américains et d’autres fois, ce ne l’est pas ? » Le cadre de la Sécurité n’a pas répondu. Les Bouddhistes de l’EBUV à Binh Dinh ont rapporté que la photo publié dans le journal a été prise lors de cette rencontre. En revanche la lettre de remerciement de Thich Huyen Quang, également publiée dans l’article, est une lettre datant de 2004 où le Patriarche remerciait les autorités pour son hospitalisation.
Le Très Vénérable Thich Huyen Quang, quatrième Patriarche Suprême de l’Eglise Bouddhique Unifiée du Vietnam (EBUV), a envoyé un Message aux Bouddhistes vietnamiens partout dans le monde à l’occasion du 2551ème anniversaire de la naissance du Bouddha (Vesak). Evènement le plus sacré du calendrier bouddhique, le Vesak est célébré le 15ème jour du quatrième mois lunaire, cette année le 29 mai 2007. Le Message du Patriarche Thich Huyen Quang a été envoyé clandestinement depuis le Monastère Nguyen Thieu, dans la province de Binh Dinh, au centre du Vietnam, où le Patriarche de 87 ans est détenu en résidence surveillée.
Dans son Message, le Patriarche Thich Huyen Quang constate que les célébrations du Vesak de cette année sont assombries par les grandes souffrances que subissent tous les bouddhistes de l’EBUV interdite : « L’EBUV subit une des pires répressions de ces 20 dernières années. On m’interdit de voyager pour être soigné. Le Très Vénérable Thich Quang Do n’a pas le droit de me rendre visite ici à Binh Dinh. Dans 20 provinces dans tous le pays, les membres des Comités provinciaux de l’EBUV sont soumis aux contraintes et réprimés ».
Alors que le gouvernement vietnamien prétend devant la communauté internationale que Thich Huyen Quang et Thich Quang Do sont « totalement libres », le Patriarche Thich Huyen Quang réaffirme qu’il est détenu dans « le Monastère Nguyen Thieu, où je suis l’objet de restrictions sans nombre du fait des autorités, suis privé de toute liberté de mouvement et isolé de mes disciples et des mes fidèles ». Cependant, dit-il, « de nos lieux de détention respectifs dans Monastère Zen Thanh Minh à Saigon et le Monastère Nguyen Thieu à Binh Dinh, où nous sommes maintenus en isolement et sous surveillance, Thich Quang Do et moi-même continuons à « être présents dans le monde pour vivre le Bouddhisme dans la joie » (Cu tran lac dao), et appelons tous les Bouddhistes à faire de même »…
Expliquant cette expression, leitmotiv du Truc Lam Yen Tu, une des Ecoles Bouddhiques Zen vietnamiennes les plus fameuses du XIIIème siècle, Thich Huyen Quang a dit que le rôle de chaque bouddhiste vietnamien était d’être présent partout où il y a de la souffrance et d’apporter les enseignements du Bouddha de libération du peuple de l’injustice et de l’oppression. L’esprit de justice sociale inhérent au Bouddhisme vietnamien, souligne-t-il, a inspiré 2000 ans de tradition d’engagement et a aidé le Vietnam à gagner son indépendance et à préserver son identité culturelle malgré les décennies d’occupation étrangère, du mouvement de résistance des Sœurs Trung contre les Chinois en 40 après JC à nos jours. « Le succès ou l’échec n’est pas important. Ce qui compte, c’est le cœur de diamant et la volonté inébranlable des Bouddhistes. Aussi longtemps que cette volonté existera, le Bouddhisme durera. Aussi longtemps que le Bouddhisme existera, notre peuple survivra, prospèrera et se développera en paix, et l’humanité s’embarquera dans une nouvelle ère d’amitié et d’égalité globales ».
Le Patriarche Thich Huyen Quang a insisté sur le fait que le « Cu tran lac sao » (« être présent dans le monde pour vivre le Bouddhisme dans la joie ») incluait la préservation de « l’intégrité spirituelle ». Lorsque le régime de Hanoi a fait de larges concessions territoriales (terre et mer) à son voisin chinois, Thich Huyen Quang avait dit : « L’intégrité spirituelle n’est pas différente de l’intégrité territoriale. Si nous prenons le territoire que nos ancêtres ont construit avec tant de peine et que nous l’abandonnons à des puissances étrangères, que restera-t-il de la nation et de la patrie de notre peuple ? De la même façon, l’esprit humain ne doit pas se recroqueviller ou capituler devant des forces illégitimes et immorales. C’est seulement ainsi que nous pourrons apporter les enseignements du Bouddha au troisième millénaire afin de forger la voie de la Paix et faire face aux nouveaux défis du terrorisme global et de la violence ».
Se réjouissant de la reconnaissance par les Nations Unies de la Naissance du Bouddha comme fête religieuse internationale, le Patriarche Thich Huyen Quang a toutefois regretté qu’« alors que la lumière du Bouddhisme brille plus que jamais en Occident », au Vietnam, « les vertus spirituelles sont graduellement détruites ». « D’imposants monastères ont été construits, de coûteuses cérémonies organisées, mais tout ceci ne peut cacher le fait que les croyances des fidèles ne sont pas respectées au Vietnam ».