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Censure et auto-censure : Bilan du Forum des Peuples de l’ASEM 5 à Hanoi

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Alors que les militants de la société civile de l’Asie et de l’Europe quittent le Vietnam à la clôture du Forum des Peuples de l’ASEM 5, qui s’est tenu à Hanoi des 6 au 9 septembre 2004, de nombreuses questions restent en suspens concernant l’organisation par le Vietnam de l’événement. Le Forum des Peuples précède d’un mois le Sommet officiel de l’ASEM 5 qui se tiendra les 8-9 octobre prochain, à Hanoi. Déclaré par ses organisateurs comme une occasion « d’accroître la compréhension mutuelle, la solidarité et les actions communes dans l’intérêt commun de nos peuples », le Forum a été gâché par les restrictions sur l’information et les participants imposées par les autorités vietnamiennes et l’organisateur vietnamien du Forum, l’Union Vietnamienne des Organisations de l’Amitié (UVOA).

Le tout premier jour, l’UVOA a ainsi annoncé l’interdiction pour la presse internationale d’assister au Forum. L’interdiction touchait notamment tous les journalistes étrangers qui avaient fait le voyage à Hanoi exclusivement pour couvrir le Forum, dont dix journalistes du Sud-Est Asiatique invités par le Friedrich Ebert Stiftung, organisation allemande promouvant le dialogue politique au Vietnam. L’Associated Press et les autres agences de presse internationales se sont également vu signifier l’interdiction formelle d’assister aux débats du Forum. Ceux-ci portaient sur la paix et la sécurité, la sécurité sociale et économique, la démocratisation et les droits des peuples, ainsi que sur « les media et la démocratie ».

L’UVOA a prétendu que cette exclusion de la presse avait été décidée parce qu’« il n’y avait pas de place pour les accueillir ». Elle avait promis d’organiser tous les jours des briefings pour la presse et de publier une liste des participants pour que les journalistes puissent les interviewer. La liste n’est toujours pas disponible.

L’interdiction de la presse a provoqué d’importantes protestations internationales. Le quotidien thaïlandais « The Nation » a ainsi considéré qu’il s’agissait d’un « recul du Vietnam sur l’échiquier international », un recul qui « ternit l’image du pays »« Le Vietnam doit apprendre comment affronter les réalités du monde d’aujourd’hui. Dans le passé, le Parti Communiste a grandement bénéficié d’une couverture positive par la presse internationale. Mais du point de vue du journaliste, tant les aspects négatifs que positifs du Vietnam d’aujourd’hui doivent être couverts afin de permettre aux lecteurs de former leur propre opinion. L’action de Hanoi n’aura que l’effet inverse que celui qu’avait en tête ce pays quand il a adopté cette interdiction… A l’ère de la globalisation, aucun pays ne peut espérer empêcher le flux libre d’informations d’arriver à sa population… » (The Nation, 8 septembre 2004).

Dans une interview donnée au Comité Vietnam pour la Défense des Droits de l’Homme, Lord Avebury, Vice-Président du Groupe parlementaire sur les droits de l’Homme du Royaume-Uni, a déclaré : « La peur des Communistes de la presse libre est encore bien vivace à Hanoi. Empêcher les journalistes d’assister à une réunion sur les médias et la démocratie démontre que le gouvernement vietnamien n’a pas complètement compris ce que signifie la démocratie. J’espère que l’Union Européenne sera très claire, lors du Sommet de l’ASEM, sur le fait que les relations de l’Europe avec les pays de la région ne seront renforcées que si nous pouvons nous mettre d’accord sur le respect de la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme, y compris la liberté d’expression ».

Le député européen Paulo Casaca (PSE, Portugal) a dit, quant à lui, qu’il « est extraordinaire qu’un Forum visant spécialement à un débat public se tienne derrière des portes closes. Ceci montre que les autorités vietnamiennes ont beaucoup à cacher, beaucoup de choses qu’elles ne veulent pas que le reste du monde voit, en particulier la très néfaste répression des mouvements religieux pacifiques. Nous sommes en effet confrontés à la répression de mouvements religieux qui sont totalement pacifiques, qui n’ont jamais menacé personne et qui n’utilisent que la force de leurs idées. Il est absolument inacceptable que l’Etat vietnamien les réprime de la façon dont il le fait actuellement ».

Antoine Bernard, Directeur Exécutif de la Fédération Internationale des Ligues des Droits de l’Homme (FIDH, à Paris, France), a condamné l’interdiction comme « une décision choquante, regrettable, c’est une violation flagrante de la liberté d’information. Le prétexte avancé pour cette décision, c’est-à-dire réduire le nombre de participants pour une raison logistique, est évidemment fallacieux, qui ne peut tromper personne. Les masques tombent. C’est une confirmation magistrale que le régime vietnamien est un régime qui se livre à des violations flagrantes, systématiques des libertés les plus fondamentales, liberté d’expression, d’opinion, d’association, et en particulier la liberté d’information ».

A la suite de ces protestations, le Forum s’est finalement ouvert à la presse internationale le tout dernier jour, et quelques journalistes ont pu assister aux ateliers, mais il leur a été expressément interdit de faire des rapports sur les débats. « Ils ont été parrainés par différentes organisations et ne sont pas autorisés à travailler en tant que journalistes quand ils participent au Forum, selon les lois vietnamiennes » a dit Do Tuan Song, membre du Comité d’organisation du Forum.

Ce ne sont pas seulement les journalistes qui ont été exclus. Un certain nombre d’ONG asiatiques n’ont pu assister au Forum à cause des pressions politiques de leurs gouvernements qui cherchent systématiquement à faire taire ceux qui pourraient critiquer la situation des droits de l’Homme dans leur pays. Ainsi une délégation de dix Cambodgiens, invités par l’organisation basée à Londres One World Action, a été interceptée, placée en détention par la police à l’aéroport de Ho Chi Minh Ville, et empêchée de participer au Forum. Phay Siphan, ancien sénateur et Président du Centre Cambodgien pour les Droits de l’Homme, qui menait la délégation, comptait faire un important discours au Forum des Peuples critiquant la répression d’Etat et la dégradation de la situation des droits de l’Homme au Cambodge (M. Siphan avait été expulsé du Sénat pour ses vives critiques contre le gouvernement cambodgien). « Le gouvernement cambodgien a apparemment négocié avec le gouvernement vietnamien pour ne pas autoriser les délégués cambodgiens à venir, parce que cela aurait embarrassé le gouvernement cambodgien », a déclaré Tom Crick, responsable du programme Asie de One World Action. Après négociations, le Ministère vietnamien des Affaires étrangères a autorisé quatre des dix Cambodgiens à assister au Forum, mais les délégués ont décidé de rentrer tous au Cambodge par solidarité avec les proscrits.

Deux délégués de la Birmanie, qui avaient réussi à assister au Forum, se sont vus enjoints par le secrétariat de l’UVOA de ne pas distribuer leurs documents sur le leader démocrate Aung San Suu Kyi. Interdiction a en outre été faite à d’autres partisans de la cause démocratique birmane de distribuer des documents en vue d’une campagne de signatures appelant l’Union Européenne à continuer de refuser l’entrée du régime militaire birman dans l’ASEM.

Pendant ce temps, Mme Ton Nu Thi Ninh, Vice-Présidente du Comité des Affaires étrangères de l’Assemblée Nationale vietnamienne, défendait le système du Parti unique du Vietnam devant le Forum, déplorant que Hanoi n’était « pas très à la mode ». « Mais nous devons défendre les minorités », a-t-elle dit ironiquement, faisant allusion aux 2 millions de membres du Parti Communiste pour une population de 81 millions de Vietnamiens. « Je revendique notre droit de tenter ce défi de la démocratie au sein d’un parti unique ».

Un rare témoignage de l’intérieur du Forum des Peuples a été donné par une participante clef : Mme Deborah Stothard, coordinatrice de l’ONG asiatique Altsean Burma – The Alternative Asean Network on Burma, est intervenue en session plénière sur la « Démocratisation et Droits des Peuples ». Lors d’une interview accordée par téléphone à Penelope Faulkner, Vice-Présidente du Comité Vietnam pour la Défense des Droits de l’Homme, depuis le Forum même à Hanoi, Mme Stothard a donné ses impressions sur le Forum des Peuples de l’ASEM 5 et sur sa première visite au Vietnam. Ci-dessous figure la transcription de cette interview qui a été radiodiffusée au Vietnam sur les ondes de la Radio Free Asia, le 10 septembre à 21h00 et le 11 septembre à 6h30.

Interview de Deborah Stothard

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