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Commentaires du dignitaire bouddhiste Thich Quang Do sur la démocratie, le pluralisme et le Xème Congrès du Parti Communiste vietnamien

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Lors de la Quatrième Assemblée du Mouvement Mondial pour la Démocratie à Istanbul (2-5 avril 2006), le Vénérable Thich Quang Do, deuxième dignitaire de l’Eglise Bouddhique Unifiée du Vietnam (EBUV, Eglise historique, interdite depuis 1981) et le vétéran du Parti Communiste Vietnamien Hoang Minh Chinh ont reçu le “Democracy Courage Tribute” aux côtés d’activistes du Népal, d’Ouzbekistan et de Crimée. Dans l’interview qu’il a accordé à Penelope Faulkner (Y Lan), Thich Quang Do réagit à son prix et expose ses vues sur le mouvement démocratique au Vietnam et sur le prochain Xème Congrès du Parti Communiste (18-25 avril 2006). Cette interview a été diffusée par le service vietnamien de Radio Free Asia, le 10 avril dernier.



Le Vénérable Thich Quang Do
Y Lan : Comment va votre santé et quelles sont vos conditions de vie aujourd’hui ?

Thich Quang Do : Mes conditions de vie sont à peu de choses près les mêmes que d’habitude. Depuis plusieurs années, je vis comme un prisonnier attaché à une laisse. Je reste dans ma chambre toute la journée. J’ai un repas par jour. La routine est exactement la même que celle que je connaissais en prison. Il y a un tabouret devant ma porte. A l’heure du déjeuner, vers 11h00 du matin, ils m’apportent la nourriture et la déposent sur le tabouret. Je prends mon repas et mange dans ma chambre. Quand j’ai fini, je pose mon plateau sur le tabouret. Ils viennent le reprendre. Exactement comme en prison.

Je ne sors jamais de ma chambre, sauf pour aller à l’hôpital deux fois par mois pour le suivi médical. Où que j’aille, mes “amis” de la Sécurité sont toujours là. Le Parti Communiste dit que la Sécurité (Cong an) est l’amie du peuple. Ils sont très serviables, où que j’aille, ils m’emmènent d’une porte à l’autre, et m’escortent toujours jusqu’à ma chambre. Ils s’assoient dans la rue devant ma pagode toute la journée, gardant un œil sur chaque mouvement et contrôlant chaque visite.

Y Lan : Quelle a été votre réaction en entendant que Hoang Minh Chinh et vous-même êtiez récompensés du “Democracy Courage Tribute” par plus de 600 activistes et experts de la démocratie venant de 125 pays, qui se réunissaient pour la Quatrième Assemblée du Mouvement Mondial pour la Démocratie à Istanbul  ?

Thich Quang Do : Bien entendu, ma toute première réaction a été une grande joie et je suis sûr que le Pr Hoang Minh Chinh a ressenti la même chose. Je suis également certain que Hoang Minh Chinh et moi-même ne sommes pas les seuls à nous réjouir, mais que tous les démocrates et activistes qui aspirent sincèrement au pluralisme et à la démocratie au Vietnam partagent notre joie, car c’est la seule voie vers le développement et le progrès pour notre peuple. Toutes les personnes de cœur au Vietnam accueillent la bonne nouvelle, car elle démontre que les démocrates du monde entier soutiennent le mouvement démocratique au Vietnam. Cela montre que nous ne sommes pas seuls, qu’on ne nous a pas oubliés, que les démocrates, les intellectuels et les amis tout autour du globe s’engagent activement pour soutenir et aider le processus de démocratisation du Vietnam.

Aussi, c’est maintenant à nous d’agir. Le processus de démocratisation du Vietnam est entièrement entre les mains du peuple vietnamien. Quelle est la force dirigeante du mouvement démocratique ? Ici encore, j’ai des raisons d’être heureux. Récemment, nous avons vu non seulement de vieux dissidents et vétérans du Parti Communiste mais également de nombreux jeunes gens, étudiants et ouvriers commencer à participer activement au mouvement et à demander la démocratie au Vietnam. C’est un signe très positif. Mais il reste un problème. Beaucoup de gens ont peur, sont inquiets et n’osent pas exprimer leurs vues. C’est la faiblesse de notre mouvement pour la démocratie. La raison en est que la répression par la Sécurité est partout. Seuls les plus courageux osent parler… et vivent sous la menace permanente.

Je comprends ce problème. Nous, bonzes, ou les dissidents et vétérans âgés n’avons pas de lourdes responsabilités familiales. Au contraire, il est difficile pour les jeunes gens et ceux qui ont des familles à entretenir. S’ils font la moindre chose qui attire l’attention de la police, ils sont placés sous surveillance, menacés et isolés. La police cherchera tous les moyens de réprimer leurs activités. S’ils ont des enfants, la police fera en sorte d’empêcher les enfants d’aller à l’école et d’assister aux cours. Elle recourra à tous les moyens de harcèlement. C’est pour cela que les gens ont peur. En fait, la peur est devenue une seconde nature pour notre peuple qui vit dans la peur depuis 50 ans. Rien que le mot “Sécurité” (Cong an) terrifie. On a peur des “Cong an” comme de la peste. C’est l’une des raisons principales qui explique que le mouvement démocratique au Vietnam est lent à se développer. Mais avec le temps, je crois que le peuple verra les choses plus objectivement. En particulier, je place de grands espoirs chez les jeunes et les étudiants. Le fait que les étudiants et les jeunes commencent à parler me donne un grand espoir.

Comme je l’ai souvent dit, le moment viendra où les autorités ne seront plus capables de faire taire tout le monde tout le temps. Le moment viendra où le peuple se lèvera, comme les eaux submergeant les digues. Ensemble, 80 millions de Vietnamiens parleront d’une seule voix pour réclamer la démocratie et les droits de l’Homme. Le gouvernement ne pourra pas ignorer leur demande et devra affronter la réalité. Alors, le Vietnam devra changer et le processus démocratique s’imposera.

Y Lan : Le Parti Communiste du Vietnam (PCV) va bientôt tenir son Xème Congrès national (du 18 au 25 avril 2006). Pensez-vous que le Congrès pourra mener à des ouvertures en terme de démocratie multi-parti et de pluralisme au Vietnam ? Quelles stratégies avez-vous, vous et l’Eglise Bouddhique Unifiée du Vietnam (EBUV) pour faire face aux problèmes actuels du Vietnam ?

Thich Quang Do : Il y a juste quelques mois, quand ont commencé les préparatifs du Xème Congrès national du PCV, non seulement l’EBUV mais aussi la majorité des démocrates, en fait tous les Vietnamiens réellement intéressés par la démocratie, ont vu des signes qui laissaient espérer que des changements étaient en vue.

Cependant, ces espoirs ont été rapidement balayés par le 14ème Plénum du Comité Central du PCV [au mois de mars]. La vieille mentalité du PCV est restée inchangée en dépit de la campagne nationale lancée par le PCV pour sonder le peuple et inclure ses opinions dans le Rapport politique du PCV. Cette campagne a réellement convaincu le peuple de la bonne foi du Parti et de son engagement à réformer, et les gens ont très sérieusement soumis leurs opinions et idées. J’ai suivi cette campagne de très près. Toutes sortes de propositions ont été faites par les vétérans du PCV et les anciens héros de la Révolution, par les cadres du Parti du plus haut rang au plus bas, par les jeunes et les étudiants. Il y a eu une multitude de suggestions et d’idées. Les gens ont ouvert leur cœur et ont envoyé des propositions constructives, profondément réfléchies et sincères. Mais lorsque le Bureau politique s’est officiellement prononcé sur cette campagne, il a rejeté toutes ces propositions. Il a été totalement ignoré toutes ces idées qui visaient sincèrement à développer notre nation et à créer une base politique saine pour tirer le Vietnam de la pauvreté et le ramener au niveau des autres pays dans le monde. Ces tentatives honnêtes de “parler clair, dire la vérité” ont été décriées par le PCV comme des complots fomentés par les impérialistes, les ennemis, les forces hostiles, comme des tentatives de saper le régime par “l’évolution pacifique”, de calomnier et de saboter le Parti, etc. Aussi, aucune de ces propositions n’a été prise en compte.

Par conséquent, je ne vois aucune démocratie multi-parti ni aucun pluralisme dans un futur immédiat.

Concernant l’EBUV, nous appelons à la démocratie et au pluralisme depuis longtemps. Au début de 2001, l’EBUV avait lancé un appel à tous les Vietnamiens pour qu’ils rallient un mouvement commun pour la démocratie. Nous poursuivrons cette stratégie, que le [le Parti] s’ouvre à la démocratie ou non. La proposition bouddhiste est basée sur son “Appel pour la Démocratie au Vietnam” et son plan en 8 points pour une transition vers la démocratie. Nous continuerons à soutenir cet appel jusqu’à ce que ses propositions soient réalisées.

Tout mouvement, organisation ou parti politique qui endossera ces propositions et initiera un processus pacifique vers la démocratie et le multipartisme recevra l’assentiment chaleureux de l’EBUV et son total soutien moral. Cela a toujours été notre stratégie, cela n’a pas changé.

Je voudrais dire encore quelques mots sur les 2 millions de membres du Parti Communiste du Vietnam. Nous ne pouvons pas mettre tous les membres du Parti dans le même sac. Je pense que la grande majorité des membres du PCV sont authentiquement préoccupés par la situation du pays et de l’avenir de leur peuple. Mais il y a un groupe de 13 ou 14 membres du Bureau Politique et une centaine de membres du Comité Central qui restent complètement imperméables au changement. Ce groupe peut être divisé en deux catégories. La première compte des membres du PCV dénués de tout scrupule qui ont perdu toute notion de ce qui est juste et de ce qui ne l’est pas. Nous ne pouvons rien espérer de ces gens-là car seuls comptent pour eux leurs privilèges, leur pouvoir. Rien d’autre. La seconde catégorie comprend des membres du PCV qui ont encore quelques scrupules, que nous pouvons appeler des “hommes de conscience”, bien qu’ils n’aient que des lambeaux de conscience. Le Bouddhisme enseigne que tous les êtres sensibles possédant ne serait-ce qu’une bribe de conscience garde la capacité d’atteindre l’illumination. Un jour, ils apercevront soudain la lumière. Alors, ils choisiront la bonne voie et la suivront jusqu’au bout.

Pour l’heure, ces gens n’ont pas encore vu la lumière. Ces membres du PCV qui ont encore quelques scrupules continuent de clamer leur adhésion au Marxisme-Léninisme. Du moins, c’est ce qu’ils disent. Mais en leur for intérieur, ils savent que cette doctrine est sans valeur et obsolète. Le monde entier y a renoncé. Au Vietnam aussi, nombre de gens suggèrent d’abandonner le Marxisme-Léninisme une bonne fois pour toute. Même certains anciens haut-cadres du PCV et héros de la Révolution disent que le Vietnam ne pourra se développer que si l’idéologie marxiste-léniniste est abandonnée. Les dirigeants du Parti peuvent voir ce qui s’est passé dans le reste du monde, mais ils se cramponnent toujours à cette vieille doctrine. Pourquoi ? Essaient-ils de traîner le Vietnam dans l’abîme ? Les membres du Parti qui ont encore quelques scrupules peuvent voir la réalité. Mais ils se trouvent alors devant un dilemme. S’ils abandonnent le Marxisme-Léninisme, alors le Parti n’a plus de raison d’être. Plus grave pour eux, ils perdront leur pouvoir, car ils seront forcés d’abroger l’article 4 de la Constitution qui octroie le monopole du pouvoir politique au Parti Communiste du Vietnam. Lorsqu’ils ont incorporé l’article 4 dans la Constitution, le Parti Communiste s’est octroyé les pleins pouvoirs pour régner sans partage sur le pays tout entier, sur la société, sur le peuple. Le PCV a joui de ces pouvoirs absolus pendant des décennies, utilisant le Marxisme-Léninisme comme prétexte pour imposer la loi du Parti unique… C’est une question de pouvoir. S’ils perdent le Parti, ils perdent le pouvoir. S’ils perdent le pouvoir, ils perdent l’argent, le capital, les biens, les propriétés et les richesses qu’ils ont volés au peuple vietnamien depuis plus de 60 ans. En réalité, ils ne risquent pas seulement de perdre leurs biens, leur vie et leur sécurité sont en danger.

Ils ont donc peur. C’est pour cela qu’ils feront n’importe quoi et à n’importe quel prix pour maintenir l’ordre marxiste-léniniste. Même s’ils devaient vendre le territoire ou les eaux territoriales vietnamiennes à la Chine, ils le feraient. En fait, ils l’ont déjà fait. Aujourd’hui, la survie du PCV est totalement entre les mains du Parti Communiste Chinois. On en a eu la preuve lorsque le Numéro 4 du PCC, Jia Quinglin, est venu assister au 14ème Plénum du Comité Central et y a délivré ses ordres aux dirigeants du PCV.

Si nous regardons ces deux catégories de membres du PCV, ceux qui n’ont absolument aucun scrupule et ceux qui ont encore un brin de bon sens, il est clair que leur unique but est d’assurer la survie du Parti Communiste et de préserver leurs propres intérêts. Pas les intérêts des 2 millions de membres du PCV, mais ceux d’un petit groupe d’une centaine de personnes en haut de l’échelle. Ils forment un carré pour garder leur pouvoir et leurs privilèges, pour maintenir le statu quo. Il n’y a aucune chance qu’ils abandonnent.

Voilà pourquoi nous n’avons pas encore la démocratie et le pluralisme au Vietnam.

Mais cela ne signifie pas que nous ne les connaîtrons pas dans un avenir proche ! Quatre-vingt millions de Vietnamiens n’accepteront pas cette situation pour toujours. Arrivera un moment où le plus dévoué des membres du PCV abandonnera le Parti. En fait, beaucoup l’ont déjà fait. Beaucoup de vétérans du PCV et de héros de la Révolution ont rejoint le Parti pendant la résistance contre le colonialisme. Mais par la suite, ils ont vu que le Parti n’a pas respecté ses promesses et a profité de leurs idéaux patriotiques pour réaliser son propre programme marxiste-léniniste. Aujourd’hui, ces gens quittent le Parti, ils ne soutiennent plus la ligne du Parti. Ils étaient autrefois de bons et dévoués membres du Parti. Mais maintenant ils ont vu la vérité et réalisé qu’ils avaient été trahis.

Je crois que, très bientôt, ce ne sera pas seulement une petite minorité mais la totalité des 80 millions de Vietnamiens qui refusera de se soumettre [au monopole du Parti Communiste]. Je suis convaincu qu’ils refuseront de rester silencieux et qu’ils ne permettront plus au PCV d’opprimer le peuple. En fait, j’ai la conviction que le Xème Congrès sera le tout dernier Congrès National du Parti Communiste au Vietnam.

La situation a aujourd’hui complètement changé. Je vis sous le joug communiste depuis 1975, cela fait 30 ans. Mais beaucoup de choses ont changé depuis. En 1975, les Communistes étaient tout puissants, ils gouvernaient le ciel et la terre et ordonnaient mêmes aux dieux… (rires). Mais aujourd’hui c’est différent, ils n’exercent plus le même pouvoir. Dans 10 ou 20 ans, la situation aura changé dans de plus grandes proportions encore.

D’après moi, le Xème Congrès à venir sera le dernier Congrès du PCV. Nous n’aurons pas de XIème Congrès au Vietnam.

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