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Comité Vietnam pour la Défense des Droits de l’Homme : Criminalisation de l’expression légitime sur internet : Le cas du Vietnam

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Discours prononcé par Vo Van Ai, Président du Comité Vietnam pour la Défense des Droits de l’Homme lors du briefing organisé par la FIDH et le Comité Vietnam, avec le soutien d’IFEX, Article 19, PEN International et Human Rights Watch, sur le thème « Criminalisation de l’expression légitime sur internet : Témoignages du Vietnam, de Thaïlande et du Cambodge », le 11 septembre 2013, au Palais des Nations à Genève. Sont également intervenues Mme Sukanya “Joop” Prueksakasemsuk, épouse du journaliste thaïlandais Somyot Prueksakasemsuk condamné à 11 ans d prison pour « lèse-majesté », et Mme Ramana Sorn du Cambodian Center for Human Rights. Le blogueur vietnamien Nguyen Bac Truyen a apporté un témoignage depuis le Vietnam grâce à un enregistrement audio.


de gauche à droite: Ramana Sorn (Cambodge), Sukanya Prueksakasemsuk (Thaïlande), Nicolas Agostini (FIDH), Vo Van Ai (Vietnam) - Photo Que Me  
de gauche à droite: Ramana Sorn (Cambodge), Sukanya Prueksakasemsuk (Thaïlande), Nicolas Agostini (FIDH), Vo Van Ai (Vietnam) – Photo Que Me
 

Mesdames, Messieurs,

En matière de liberté d’expression sur internet, le Vietnam a d’adopté, le 15 juillet dernier, le décret 72/2013/ND-CP. Ce texte, qui est entré en vigueur le 1er septembre 2013, est le dernier geste en date du Vietnam contre la liberté d’expression en ligne. Il résume le dilemme du gouvernement vietnamien : Plaire à une communauté internationale attachée aux droits de l’Homme tout en réprimant sa population.

Depuis l’ouverture de l’économie avec le Doi Moi en 1986, l’objectif des autorités vietnamiennes a été d’attirer les capitaux internationaux tout en gardant le contrôle total sur le régime politique. Le décret 72 organise donc la gestion et l’utilisation d’internet afin de favoriser l’implantation des sociétés étrangères. Les autorités vietnamiennes, qui avaient consulté la communauté internationale sur son projet de texte, n’a d’ailleurs pris en compte que les critiques qui auraient pu déplaire aux entreprises étrangères. Pas celles concernant la liberté d’expression des citoyens.

Le Vietnam a en effet beaucoup misé sur l’internet pour son développement économique, au point de devenir l’un des pays les plus connectés de l’Asie du Sud-Est en l’espace de quelques années. Le résultat est là : Depuis l’an 2000, le nombre d’internautes vietnamiens a été multiplié par 15, atteignant 31 millions, soit un tiers de la population du Vietnam.

S’il y a quelques années, il fallait surtout se rendre dans les cybercafés pour accéder à internet, les foyers ont maintenant directement accès au Web.

La jeunesse des grandes villes comme Ho Chi Minh Ville ou Hanoi est extrêmement connectée avec un taux de 95% des 15-22 ans. 80% des jeunes sont sur les réseaux sociaux.

La connexion à internet se fait également grâce aux téléphones portables. On en compte 130 millions pour une population de 90 millions d’habitants, et 20 millions sont des smartphones. Les autorités prévoient qu’en 2014, la moitié des pages web consultées le seront sur les mobiles.

Cet essor formidable d’internet a réveillé la soif de la population pour l’information, les échanges, la discussion et la participation aux affaires du pays. Les blogs et microblogs ont éclos par millions pour contourner l’information formatée et partiale d’une presse officielle aux ordres et palier l’inaction des associations d’Etat et autres organisations inféodées au Parti unique. En fait, un embryon de presse libre est né avec ces blogs. Les plus représentatifs sont sans doute les blogs Bauxite.VN et Dan Lam Vao (« Journalisme fait par les Citoyens »).

Vo Van Ai - Photo Que Me  
Vo Van Ai – Photo Que Me
 

Parallèlement, les dissidents ont pu envoyer des informations entre eux ou à l’étranger, et surtout, la population — les jeunes en premier lieu — a pu se mobiliser sur les problèmes qui la préoccupaient : il y a eu la question des paysans expulsés de leurs terres, la corruption des cadres, les dangers de l’exploitation de la bauxite sur les Hauts-Plateaux.

Il y a surtout eu le mécontentement du peuple face à la faiblesse du gouvernement vietnamien dans le litige avec la Chine sur les îles de la Mer de Chine méridionale. Entre juin et août 2011, grâce aux SMS et à Facebook, des manifestations se sont organisées tous les dimanches à Hanoi et Ho Chi Minh Ville, pour protester contre le gouvernement et contre la Chine. Les manifestations ont été réprimées.

Le Vietnam est donc un des pays les plus connectés d’Asie du Sud-Est, c’est aussi l’un des pires violateurs de la liberté d’expression.

C’est que le régime vietnamien n’aime pas la contestation. Il avait d’ailleurs toujours vu l’internet comme une menace et s’était dès le début attelé à la tâche de contrer ses « effets négatifs », c’est-à-dire la liberté que l’internet pourrait procurer à la population. « Avec le boom de l’internet, la liberté d’expression et la liberté de la presse deviennent un problème global » a dit la presse la presse officielle il y a quelques semaines.

L’extraordinaire éclosion de la parole sur internet a cependant pris au dépourvu les autorités vietnamiennes, qui ont finalement répliqué par une très violente répression contre les blogueurs et les cyberdissidents, faite de harcèlements, d’agression par des voyous au service de la police, d’internement en hôpital psychiatrique, de violences policières, y compris des agressions sexuelles, d’arrestations et détentions arbitraires, et de procès iniques avec à la clé de lourdes peines d’emprisonnement.

Présentation du blogueur vietnamien Nguyen Bac Truyen lors de son témoignage audio - Photo Que Me  
Présentation du blogueur vietnamien Nguyen Bac Truyen lors de son témoignage audio – Photo Que Me
 

En fait, le Vietnam est en train de commettre la pire des répressions contre les militants pro-démocratie et les blogueurs. Au moins 48 dissidents ont été poursuivis pour la seule année 2013… qui n’est pas encore terminée !
Et le gouvernement couvre tout cela d’un vernis de légalité avec tout un arsenal de textes scélérats, dont le décret 72 n’est que le dernier exemple.

Le Vietnam a imposé par le passé le strict contrôle des usagers par les propriétaires de cybercafés ainsi que l’installation de logiciels espions sur leurs ordinateurs. Il a créé une cyberpolice pour chasser les « informations interdites » et détruit des centaines de blogs et sites au Vietnam. Il a imposé aux internautes la responsabilité pénale de ce qu’ils font sur le Web mais aussi des messages qu’ils reçoivent. Parallèlement, le régime a procédé à des attaques contre des sites d’opposition à l’étranger et à l’infection de milliers d’ordinateurs par des logiciels espions.

Le Vietnam a également créé des concurrents locaux de Facebook ou Twitter pour contrôler les internautes. L’inscription à ces sites nécessite en effet de donner sa véritable identité.

A côté de toutes ces mesures spécifiques à internet, le Vietnam dispose de tout un arsenal législatif anti-liberté d’expression de droit commun, en premier lieu, les dispositions du Code pénal sur la notion fourre-tout de « sécurité nationale » :

Par exemple, l’article 79 du Code pénal sur les « activités visant à renverser l’administration du peuple » prévoit des peines allant jusqu’à la détention perpétuelle et la peine capitale est employé pour réprimer la dissidence. L’ONU a dénoncé ce texte depuis longtemps car il ne distingue pas entre les actes violents et l’exercice légitime et pacifique des droits de l’Homme.

Ceux qui communiquent avec l’étranger peuvent être poursuivis pour « espionnage » qui, aux termes de l’article 80 du Code pénal.

L’article 88 du Code pénal sur la « propagande anti-socialiste », qui est punie de 3 à 20 années de prison, est utilisé massivement pour appréhender la moindre critique. Il y a presque tout juste un an, le célèbre blogueur Dieu Cay et ses associés du « Club des Journalistes Libres » Ta Phong Tan et Phan Thanh Hai ont été condamnés à des peines allant jusqu’à 12 ans de prison.

L’un des plus kafkaïen est l’article 258 du Code pénal sur l’« abus des liberté démocratiques pour nuire aux intérêts de l’Etat » qui prévoit des peines allant jusqu’à 7 ans de prison.

Pour revenir au décret 72, comme nombre de lois et règlements vietnamien, il interdit un si large éventail de comportements qu’on ne sait pas ce que l’on a droit de faire, en dehors de se taire évidemment. Le décret instaure une censure en fonction de ces comportements interdits et oblige les fournisseurs étrangers de services internet à fournir les informations sur leurs usagers au Vietnam à la demande des autorités.

En outre, pour le décret 72, partager des informations sur Facebook est un crime. Il interdit en effet aux internautes de parler d’actualité sur leurs blogs, sites personnels ou réseaux sociaux comme Facebook ou Twitter. Seules les informations « personnelles » y seront tolérées. En effet, comme le rappelait, il y a à peine deux jours l’Agence Vietnamienne d’Information, l’agence de presse officielle :

« Les blogs créés par les particuliers ont pour but de fournir, de partager des informations personnelles et ne doivent en aucun cas représenter des organisations ou d’autres personnes et ne doivent pas fournir d’informations relatives à ces dernières ».

Il était ajouté que si des particuliers voulaient publier des nouvelles d’actualité, ils devaient disposer d’une « permission », c’est-à-dire se plier au contrôle et la censure propre à la presse officielle.

Devant la levée de bouclier de la communauté internationale contre ces dispositions, les autorités vietnamiennes ont tenté d’expliquer qu’il s’agissait en fait de protéger le copyright et d’empêcher la reproduction illicite d’articles protégés sur le Web. Mais l’argument ne convainc pas, sinon de la mauvaise foi vietnamienne.

Depuis le début de ce mois, donc, le gouvernement vietnamien peut poursuivre tout internaute qui parlerait des actualités. Avec ses lois vagues qui transforment en crime n’importe quel comportement et l’arbitraire de sa répression, il cherche à instaurer l’autocensure, la forme la plus aboutie de la censure.

Dans le domaine de la liberté de la presse, le régime vietnamien avait déjà pris des mesures pour que les journalistes s’autocensurent. La loi vietnamienne exige, par exemple, que les journalistes paient des dommages-intérêts aux personnes qu’ils mettent en cause dans leurs articles, même si les faits sont avérés. Si cela ne suffit pas, les reporters trop curieux sont arrêtés, comme Vo Thanh Tung et ses collaborateurs en août dernier, ou Nguyen Van Khuong arrêté en 2012. Tous écrivaient sur la corruption de la police mais ont été poursuivis pour corruption.

Journalistes, blogueurs, cyberdissidents, défenseurs des droits de l’Homme, militants pro-démocratie : les autorités vietnamiennes les voient comme des « ennemis » ou des « forces hostiles », pour reprendre l’expression consacrée. Pourtant ils ne s’opposent pas forcément au régime en place ou au Parti communiste, ils s’opposent encore moins à leur pays, le Vietnam. Au contraire. Ils donnent leur avis quand on le leur demande, comme dans le cas de l’actuelle réforme de la Constitution ; ils voient les problèmes que rencontre le pays et cherchent par le dialogue et l’engagement à les résoudre.

Comme le disait tout récemment Jonathan London, professeur à l’université de Hong Kong, « au sein de tous les segments de la société vietnamienne, il y a une immense faim de changement. Cette faim n’est pas celle de forces hostiles mais de Vietnamiens de tous les milieux qui aiment leur pays et veulent un meilleur avenir le plus tôt possible ».

Ce sont ces Vietnamiens que le gouvernement de Hanoi réprime sans état d’âme et sans égard pour les traités internationaux de protection des droits de l’Homme qu’il a signés. En dépit de quelques remontrances, la communauté internationale reste pourtant assez complaisante : On condamne du bout des lèvres pour ensuite reprendre les affaires… « Business as usual ». L’ironie du sort veut qu’alors que le Vietnam connaît une des pires répression contre la liberté, il va sans doute entrer au Conseil des Droits de l’Homme de l’ONU l’an prochain. La décision doit être prise ce mois-ci à l’assemblée Générale de l’ONU.

Il est donc essentiel que la société civile internationale soit aux côtés de ces blogueurs et militants vietnamiens, s’engage à porter leur voix et à dénoncer les persécutions qu’ils subissent.

Mesdames, messieurs, je vous remercie.

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