Selon des rapports urgents envoyés par l’Eglise Bouddhique Unifiée du Vietnam (EBUV, Eglise historique, indépendante, interdite arbitrairement en 1981) et reçus aujourd’hui, le Vietnam accroît sa répression contre les membres de l’EBUV et met en œuvre une stratégie d’envergure pour diviser, saper et en fin de compte éliminer l’EBUV. Depuis que l’EBUV a lancé, au mois d’août, sa campagne de soutien aux paysans expropriés connus sous le nom de « Victimes d’Injustices », la Sécurité vietnamienne a intensifié les menaces, les harcèlements, les contrôles, la surveillance et les interrogatoires contre les membres de l’EBUV à Ho Chi Minh Ville, dans les provinces de Binh Dinh, Phu Yen, Quang Tri, Tien Giang, etc.. Etant donné cette montée en puissance de la pression, le Bureau International d’Information Bouddhiste (BIIB) s’attend avec une profonde préoccupation à des arrestations imminentes. Nous en appelons donc à la communauté internationale, à tous les diplomates et journalistes étrangers basés à Hanoi d’être sur le qui-vive et de surveiller étroitement la situation des dignitaires de l’EBUV, en particulier le Patriarche Thich Huyen Quang et son adjoint Thich Quang Do.
La surveillance policière est devenue telle que les réseaux de l’EBUV ne peuvent plus relayer immédiatement les nouvelles au BIIB à Paris. Le rapport qui suit couvre ainsi les événements survenus durant les derniers jours.
l Le 29 août, le Major-général Tran Tu du Département A41 du Ministère de la Sécurité Publique (en charge de la surveillance et du contrôle des organisations religieuses) est venu de Hanoi rendre visite au Patriarche de l’EBUV Thich Huyen Quang au Monastère Nguyen Thieu (province de Binh Dinh) où le Patriarche de 87 ans est assigné à résidence. Il était accompagné d’une délégation de cadres de la Sécurité incluant Che Truong, Directeur de la Sécurité de Binh Dinh, Doan Muoi, Directeur du Département PA38 (Département de la Sécurité politique dans les zones rurales) et plusieurs autres fonctionnaires. Deux d’entre eux ont pris des photos et filmé la rencontre. L’attitude de la délégation gouvernementale était menaçante bien que la visite de 45 minutes se fût terminée par une proposition visant à « persuader » le Patriarche de l’EBUV. Les principaux points étaient les suivants :
1) Le Major-général Tran Tu a dénoncé de manière très agressive le lancement par le deuxième dignitaire de l’EBUV Thich Quang Do d’un « Fonds d’Aide aux Victimes d’Injustices » et la distribution d’aide aux paysans manifestant à Hanoi et Ho Chi Minh Ville (Saigon). Il a ainsi accusé l’EBUV d’« inciter les gens à manifester contre le gouvernement ». Il a également accusé l’EBUV de s’engager dans des « activités politiques » en appelant au pluralisme, à la démocratie multipartiste et à l’abrogation de l’article 4 de la Constitution sur le monopole politique du Parti Communiste vietnamien (1).
2) Annonçant que les autorités suspectaient l’EBUV de planifier la réunion d’un Congrès au Monastère Nguyen Thieu, il a formellement interdit au Patriarche de l’EBUV d’organiser un tel événement, qui serait perçu comme un acte de « rébellion ». En particulier, Tran Tu a précisé qu’aucune délégation organisée par « Monsieur Quang Do pour conspirer sur la tenue d’un Congrès de l’EBUV » ne serait autorisée à se rendre dans la province de Binh Dinh. Le Patriarche est autorisé à recevoir des visites individuelles mais aucune délégation, a-t-il dit. Le Directeur de la Sécurité de Binh Dinh, Che Tuong, a ajouté qu’aucun Congrès de l’EBUV rappelant celui de 2003 ne se tiendrait tant qu’il serait en poste (2). Conséquence probable des soupçons gouvernementaux, la Sécurité vietnamienne s’est massivement positionnée autour du Monastère Nguyen Thieu depuis la Fête du « Vu Lan », la semaine dernière. Les véhicules de police ont encerclé le bâtiment et des centaines d’agents montent la garde en permanence, interceptant tous les visiteurs. A l’intérieur du monastère, des agents en civil se sont mêlés aux Bouddhistes et surveillent étroitement toute activité. Thich Vien Dinh, Directeur-adjoint de l’Institut Exécutif de l’EBUV (Vien Hoa Dao), a été arrêté alors qu’il arrivait à Binh Dinh pour assister à la Fête du Vu Lan. Le suspectant de vouloir rencontrer le Patriarche de l’EBUV et discuter sur le prétendu « Congrès de l’EBUV », les policiers ont soumis Thich Vien Dinh à d’intenses interrogatoires et lui ont interdit de se rendre au Monastère Nguyen Thieu.
3) Le Major-général Tran Tu a invité le Patriarche Thich Huyen Quang à assister à la prochaine Journée du Vesak des Nations Unies (Anniversaire de la Naissance du Bouddha) dont la cérémonie sera organisée en grande pompe par le gouvernement communiste de Hanoi en 2008. Le régime de Hanoi se sert des célébrations du Vesak pour sa propagande visant à « prouver » que la liberté religieuse est respectée au Vietnam. En fait, l’événement sera entièrement organisé par le gouvernement et l’Eglise d’Etat (Eglise Bouddhiste du Vietnam), alors que l’EBUV, qui est l’Eglise historique, reste hors-la-loi et persécutée et que ses dignitaires sont réprimés et détenus. L’invitation du Major-général Tran Tu apparaît ainsi comme une tentative cynique d’attirer le Patriarche Thich Huyen Quang à Hanoi pour servir la propagande du gouvernement.
4) Le Major-général Tran Tu a également évoqué le VIème Congrès de l’Eglise Bouddhiste du Vietnam (EBV, Eglise d’Etat) qui se tiendra en novembre 2007 et a fait l’offre suivante à Thich Huyen Quang : « Le Bouddha est le Bouddha, quelque soit l’Eglise à laquelle vous appartenez. Nous vous invitons à être le chef de l’Eglise Bouddhiste du Vietnam ». Encore une fois, cette proposition de « cage dorée » pour Thich Huyen Quang constitue un autre stratagème pour créer l’illusion d’une « unité bouddhiste » et ruiner les critiques internationales sur la situation déplorable de la liberté religieuse et des droits de l’Homme au Vietnam.
Le Patriarche de l’EBUV, qui est resté silencieux tout au long de la rencontre, a simplement répondu qu’il n’irait nulle part, étant trop vieux et trop faible pour voyager. Tran Tu a immédiatement offert de mettre un avion à sa disposition, avec des médecins pour l’accompagner. Un bonze de l’EBUV a ironiquement commenté : « C’est une « assignation à avion » au lieu de « l’assignation à pagode » — notre Patriarche aura sa propre prison volante ».
Un fonctionnaire de la province de Binh Dinh, dont l’identité ne peut être révélé, a informé le BIIB que si Thich Huyen Quang n’acceptait pas cette invitation, « le gouvernement a un plan pour « kidnapper » le Patriarche de l’EBUV et l’amener de force à Hanoi pour devenir le chef de l’Eglise Bouddhiste du Vietnam lors du VIème Congrès en novembre 2007″.
l La pression s’accentue contre le deuxième dignitaire de l’EBUV Thich Quang Do, éminent dissident proposé pour le Prix Nobel de la Paix 2007. La Sécurité vietnamienne l’a convoqué par deux fois pour des « sessions de travail » (interrogatoires) les 28 et 29 août 2007. Il a refusé de s’y rendre. A la Pagode Giac Hoa, siège du Secrétariat de l’EBUV, Thich Chon Tâm (Commissaire de l’EBUV à l’Education), Thich Viên Hy et Thich Dong Minh ont été interrogés par la police du district de Binh Thanh (Saigon). Les policiers ont violemment critiqué le Vénérable Thich Quang Do pour avoir agi sous le nom de l’ »organisation illégale » (l’EBUV), à savoir avoir aidé les « Victimes d’Injustices » (les paysans protestant contre les confiscations de terres par l’Etat, les indemnités dérisoires, les autres abus de pouvoir et la corruption). Ils ont accusé les trois bonzes de complicité avec Thich Quang Do dans l’incitation des paysans à protester contre l’Etat et leur ont ordonné de cesser tout contact avec lui. Les bonzes ont tous trois refusé de s’incliner. Les bonzes ont rapporté que depuis le 23 août, date de l’arrestation de Thich Khong Tanh à Hanoi, 10 à 20 agents de la Sécurité exercent une surveillance 24 heures sur 24 du Secrétariat de l’EBUV (Pagode Giac Hoa), du Monastère Zen Thanh Minh (résidence de Thich Quang Do) et de la Pagode Lien Tri (résidence de Thich Khong Tanh). La police contrôle tous les visiteurs, note les plaques d’immatriculation des véhicules des Bouddhistes et les suivent jusque chez eux, les menaçant de représailles s’ils se rendent de nouveau dans ces pagodes.
l Dans les provinces de Tien Giang, Phu Yen et Quang Tri, les bonzes de l’EBUV sont l’objet de menaces, de contrôles et de harcèlements grandissant. Le 24 août, dans la province de Tien Giang la Sécurité vietnamienne a convoqué les Bouddhistes locaux pour assister à des « sessions de dénonciation » dans trois pagodes de l’EBUV où ont été calomniés le Vénérable Thich Minh Nguyet, Directeur du Comité provincial de l’EBUV, et ses collègues. Elle a accusé les bonzes de soutenir illégalement les « Victimes d’Injustices ». Les policiers ont menacé d’expulser le Vénérable Thich Minh Nguyet et de le remplacer par un bonze de l’Eglise d’Etat. Tien Giang est une des régions rurales les plus affectées par les confiscations de terres par l’Etat. Le 17 juillet, Thich Minh Nguyet s’était joint à Thich Quang Do dans la distribution d’aide aux manifestants devant la Représentation de l’Assemblée Nationale à Saigon et avait été ramené de force dans la province de Tien Giang avec 300 « Victimes d’Injustices » qui avaient manifesté dans la capitale du sud pendant trois semaines.
l Cette intensification de la répression s’inscrit dans une campagne planifiée de grande envergure visant à dénigrer et à supprimer l’EBUV. Les télévisions et radios locales et nationales, ainsi que les principaux journaux comme Nhân Dân (Le Peuple, organe officiel du Parti Communiste), Quân Doi Nhân Dân (L’Armée du Peuple), Hanoi Online, Lao Dong (Travailleur), Thanh Niên (Jeunesse), Công An Nhan Dan (La Sécurité du Peuple) etc., ont tous présenté en une Thich Quang Do comme un « chef de gang » et comme ayant « incité » les paysans à « protester pour s’opposer au Parti Communiste ». Le quotidien de l’Armée du Peuple l’a décrit comme un traître fomentant des activités anti-gouvernementales.
(1) Tran Tu se réfère à la « Déclaration » lancé par Thich Huyen Quang (20 novembre 1993) et à l’ »Appel pour la Démocratie au Vietnam » de Thich Quang Do (21 février 2001) qui appelaient à un processus de démocratisation pacifique, aux droits de l’Homme et à l’Etat de droit. Tous deux appelaient le Vietnam à abroger l’article 4 de la Constitution afin de permettre à la société civile et aux membres de toutes les familles religieuses et politiques de contribuer sur un pied d’égalité au développement économique, social, politique, culturel et spirituel du Vietnam.
(2) En octobre 2007, l’EBUV avait tenu son Assemblée dans le Monastère Nguyen Thieu afin de désigner la nouvelle direction de l’EBUV et décider des actions pour l’année à venir. Les autorités avaient arrêtés tous les nouveaux dignitaires alors qu’ils quittaient l’Assemblée et les condamnaient à des peines de détention administrative. Thich Huyen Quang et Thich Quang Do avaient été accusés de « possession de secrets d’Etat » et assignés à résidence dans leurs monastères, respectivement à Binh Dinh et Saigon. Bien que ces accusations n’aient jamais été prouvées, ils ont tous deux été effectivement détenus à leur domicile.