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Comité Vietnam : Le Vietnam, trente ans après : « l’agent rouge » et ses ravages

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Dans les pages Débats de son édition du 28 janvier 2003, le journal Le Monde remettait sur le devant de la scène la question vietnamienne en publiant l’article de MM. Raymond Aubrac, Charles Fourniau et Francis Gendreau « Vietnam, trente ans après ». Ce texte intelligent et habilement pesé n’en comprenait pas moins un grand nombre d’erreurs. L’article ci-dessous a été écrit dans l’urgence pour répondre et corriger ces erreurs. Malheureusement Le Monde n’a pas donné suite au débat qu’il avait lancé, ne laissant que la voix favorable aux autorités de Hanoi s’exprimer.


A la lecture de l’article « Vietnam, trente ans après » de MM. Raymond Aubrac, Charles Fourniau et Francis Gendreau, nous avons ressenti une agréable surprise car il est vrai, comme le soulignent les auteurs que « l’information en France sur le Vietnam est très insuffisante ». Les médias n’évoquent en effet le Vietnam que par quelques brèves sur les graves inondations et sur quelques autres sujets insolites. Nous tenions donc à leur exprimer toute notre gratitude pour permettre à ce pays d’occuper des colonnes plus fournies qu’à l’accoutumée dans le journal prestigieux qu’est Le Monde. Nous tenions également à participer au débat ainsi lancé sur le Vietnam d’aujourd’hui.

Et tout d’abord, il semble essentiel de rappeler quelques vérités historiques sur la fin de la guerre du Vietnam. Oui, c’est vrai, il n’y a pas eu de traité de paix entre les Etats-Unis et le Vietnam, ni d’indemnisations. Pourquoi ? Simplement parce que le régime de Hanoi a violé l’Accord de Paris de 1973 qui prévoyait au Sud un gouvernement tripartite de réconciliation en vue de la réunification et interdisait les représailles : les Nord-Vietnamiens ont fait déferler leurs troupes sur le Sud-Vietnam en 1975 et envoyé en camp de rééducation d’abord les soldats et fonctionnaires du régime sud-vietnamien, puis les intellectuels, les écrivains, les artistes, les syndicalistes, etc.. Ces représailles ont provoqué l’un des plus dramatique exode de population, la fuite éperdue de millions de boat-people sur des embarcations de fortune à la fin des années 1970. En 1985, le Vietnam a pu se glorifier de sa décision de libérer 2 millions de prisonniers des camps… Ce qui donne une idée de l’étendue des représailles, et si l’on en croit le Groupe de travail des Nations Unies sur la détention arbitraire, il en resterait encore.

Pour l’histoire, il faut savoir aussi que dès 1976, des contacts secrets ont eu lieu entre les Vietnamiens et les Américains où ceux-ci proposaient des indemnisations et des aides pour la reconstruction du Vietnam, mais l’arrogance de Hanoi les a jetées dans les limbes. Quant à des indemnisations ou même des aides aux victimes sud-vietnamiennes de la guerre, il n’est nullement question d’en parler à cause du « mauvais passé politique », soigneusement affiché sur le permis de résidence obligatoire des concernés.

Ensuite, s’il est vrai que la politique du Doi Moi (Rénovation) entamée en 1986 a connu de spectaculaires résultats économiques sur le papier, de lourds problèmes viennent grever le développement du Vietnam. Oui, le Vietnam est devenu le 3ème exportateur de riz du monde, mais les paysans (80% de la population) continuent d’avoir faim. Sur cette question, nous renverrons à l’analyse de Gabriel Kolko (« Toujours moins de riz pour les Vietnamiens », Le Monde Diplomatique, Paris, juillet 1996) qui, toujours très actuel, montrait que la combinaison d’une décision prise bureaucratiquement à Hanoi d’exporter telle quantité de riz avec le zèle intempestif des cadres locaux en mal de promotion à gonfler les chiffres de production menait à affamer la population paysanne. Ce sont ces paysans au ventre vide et aux épaules écrasés par les taxes qui se sont révolté, en 1997, dans la province de Thai Binh, berceau et région-modèle de la Révolution vietnamienne et ainsi ébranlé le gouvernement.

En vérité, le principal problème et défi de la politique du Doi Moi, d’où découlent l’ensemble des difficultés que citent avec justesse MM. Aubrac, Fourniau et Gendreau, est le découplage fait par les autorités de Hanoi entre la libéralisation économique et la libéralisation politique. Persuadés, ou se persuadant, que l’indépendance nationale vaut réalisation pleine et entière des droits fondamentaux, les dirigeants vietnamiens méprisent et répriment toute divergence, révélant à la longue leur véritable objectif : non pas l’intérêt du peuple, mais la sauvegarde de leur pouvoir et de tous les privilèges qui en découlent. Depuis plusieurs années, des vétérans communistes aussi prestigieux que Hoang Minh Chinh (ancien doyen de l’Institut de Marxiste-Léninisme de Hanoi), feu le général Tran Do, le syndicaliste Nguyen Ho, le vétéran communiste de la première heure Nguyen Van Tran, Tran Khue, le colonel de l’Armée du Peuple Pham Que Duong (ancien rédacteur-en-chef de la Revue d’Histoire Militaire), et bien d’autres, ont tenté d’avertir le Parti Communiste Vietnamien (PCV) de la mauvaise direction prise et de la faillite du système, et de réclamer des réformes politiques démocratiques. Ils ont été bâillonnés : le général Tran Do est mort en résidence surveillée. Pham Que Duong et Tran Khue ont finalement été arrêtés fin décembre 2002, après des années de harcèlements policiers… Peu auparavant, Pham Que Duong avait voulu se présenter aux élections législatives de mai 2002, qui paraissent si importantes pour nos amis du Vietnam. Mais visiblement, ses positions par trop démocratiques l’ont éliminé avant même les votes… Ces élections ont abouti à une Assemblée Nationale composée à 82% de membres du PCV et à 18% de marionnettes de ce même Parti. Cela valait-il les projecteurs de la presse ?

Le riz et l’argent du riz. Voilà ce que recherchent les autorités de Hanoi, si bien qu’apparaît un nouveau « modèle » de développement. Le « développement périssable » à la vietnamienne consiste à se jeter sur l’argent là où il y en a, partout où il y en a : L’Armée du Peuple contrôle les sex-tours, les douanes le trafic de drogue. Les entreprises d’Etat contrôlent les ouvriers qu’elles exploitent sans vergogne ni souci pour leur sécurité. L’Etat vietnamien flatte les donateurs avec des promesses creuses (mais, visiblement, convaincantes) : L’attachement du Vietnam à la francophonie n’est qu’un jeu de dupe où Hanoi, qui se glorifiait il y a peu d’être vietnamophone plutôt que francophone, extirpe financements mirobolants et quitus sur les droits de l’Homme de Paris, qui croit, ou feint de croire, que le Vietnam préfère la France aux Etats-Unis. 0,5% de Vietnamiens qui parlent français, cela ne fait jamais que la quasi-totalité de la population qui n’a d’yeux que pour l’anglais ! Non, ce n’est pas la langue et la culture française qui remplissent les esprits vietnamiens, en revanche c’est l’argent des contribuables français qui va remplir les poches des gouvernants vietnamiens corrompus.

Ultime exemple du « développement périssable » : Le café des Hauts-Plateaux du Centre du Vietnam. Effectivement, les médias n’ont pas analysé l’affaire du café vietnamien. Dérégulation du marché, conflit d’accès à la terre, complot ourdi de l’étranger nous expliquent M. Aubrac et ses cosignataires. La réalité est autre. Le régime de Hanoi a vu dans le café un instrument doublement avantageux : C’est une source de devises, c’est aussi un prétexte pour expulser les minorités ethniques des Hauts-Plateaux (honnies du fait de leur alliance avec les Américains durant la guerre du Vietnam) de leur terres ancestrales et y installer de force des colons vietnamiens. C’est cette politique de génocide lent mais brutal qui a provoqué les troubles sur les Hauts-Plateaux. Non, il ne faut pas chercher une déstabilisation téléguidée de l’extérieur, il faut voir dans ces troubles une bataille d’un peuple pour sa survie. D’ailleurs, le rapport vietnamien sur le sort idyllique de ces minorités soumis à l’ONU, en juillet 2001, n’a pas vraiment convaincu le Comité des Nations Unies sur l’Elimination de toutes les formes de discrimination raciale (CERD), qui a émis de sérieuses inquiétudes, notamment sur les stérilisations forcées, la torture, les arrestations arbitraires, la répression religieuse…

Quant à la faillite du café vietnamien, elle est en partie due à la course effrénée lancée par le gouvernement de Hanoi, qui a certes hissé le pays au 2ème ou 3ème rang des producteurs mondiaux, mais dont la production explosive, parfois de piètre qualité, a participé à l’effondrement des cours et à la paupérisation des paysans, en submergeant le marché mondial. Aujourd’hui les devises n’arrivent plus et le régime de Hanoi a tourné la page plus que rapidement, cherchant des fonds frais ailleurs.

Reste le point pour lequel MM. Aubrac, Fourniau et Gendreau ont saisi leur plume. L’affaire de « l’agent orange » est douloureuse pour tous ceux que la vie humaine importe et encore plus pour tous ceux qui sont blessés dans leur chair par cette dioxine. Il est bon qu’on s’y intéresse. Cela fait d’ailleurs quelques années déjà, que profitant de l’émotion due à la guerre chimique, le Vietnam tente d’arracher avec cette question des capitaux aux Occidentaux (un peu vainement), mais aussi de détourner les regards d’un autre agent pathogène plus grave encore : « l’agent rouge » qui mène une violation planifiée, organisée, légalisée et systématique des droits fondamentaux de tous les Vietnamiens non communistes du pays, étouffant ainsi toute la vitalité et la créativité du peuple et de la culture vietnamiennes.
Evidemment, disant cela, nous sentons poindre la critique de vouloir faire « une campagne anti-vietnamienne ». Loin de là est notre intention. Nous ne faisons pas campagne contre l’immense majorité des Vietnamiens qui vivent vaille que vaille dans les rizières ou les rues. Nous voulons simplement évoquer des informations restées pour le moment enfouies dans les dossiers des Nations Unies.

L’an dernier, en juillet 2002, le Vietnam se décidait enfin, avec une dizaine d’années de retard, à parler avec le Comité des Droits de l’Homme de l’ONU en charge de veiller à la bonne application du Pacte international relatif aux droits civils et politiques (ratifié par le Vietnam en 1982). Les conclusions des experts internationaux, dont la probité et l’impartialité ne peuvent être mises en doute, sont édifiantes. Ils se sont inquiétés, par exemple, du caractère vague et fourre-tout des incriminations vietnamiennes, en particuliers celles concernant la « sécurité nationale », ce qui n’a pas empêché le Vietnam de condamner pour « espionnage », le 20 décembre 2002, Nguyen Khac Toan à 12 ans d’emprisonnement pour avoir aidé des paysans à écrire des plaintes à l’intention de l’Assemblée Nationale et envoyé des copies à l’étranger.

Les experts se sont encore inquiétés des arrestations et détentions arbitraires et de l’inféodation du pouvoir judiciaire au gouvernement et au Parti Communiste. Mais cela n’a pas ému un gouvernement qui détient depuis 20 ans Thich Huyen Quang, Patriarche de l’Eglise Bouddhique Unifiée du Vietnam (Eglise traditionnelle, indépendante, interdite depuis 1981), sans procès, parce qu’il a toujours défendu les droits de l’Homme et la liberté de conscience. Son second, Thich Quang Do, est en prison dans sa propre pagode à Saigon, en « détention administrative », pour avoir lancé un « Appel pour la Démocratie au Vietnam », en février 2001.

Le Comité des Droits de l’Homme s’est également préoccupé des atteintes à la liberté d’expression et de manifestation, et voilà que le gouvernement adopte ou s’apprête à adopter des décrets restreignant de jure ces droits… Les Vietnamiens n’ont donc pas le droit de penser ou d’exprimer leurs opinions, leur culture, sauf à faire les louanges de « l’agent rouge ». Nous pourrions continuer ainsi des pages et des pages.

La guerre du Vietnam s’est terminée sans traité de paix, mais la deuxième guerre du Vietnam, celle que mène le gouvernement vietnamien contre son propre peuple, a commencé sans déclaration de guerre et, pire, continue toujours. Au Vietnam, trente ans après, « l’agent rouge » fait toujours des ravages.

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  Pour télécharger le rapport, cliquer ici   PDF   Voir: VCHR, 28 février 2018: Le …

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