NEW YORK, 15 janvier 2007 – S’exprimant devant les experts du Comité pour l’élimination des discriminations à l’égard des femmes (CEDAW), réuni au siège des Nations Unies à New York pour sa 37ème session, M. Vo Van Ai, Président du Comité Vietnam pour la Défense des Droits de l’Homme et Vice-Président de la Fédération Internationale des Ligues des Droits de l’Homme (FIDH), s’est dit très préoccupé par la persistance des discriminations fondées sur le sexe et des violations des droits des femmes au Vietnam. M. Ai a présenté aux experts un contre-rapport de 32 pages préparé par le Comité Vietnam pour la Défense des Droits de l’Homme sur la mise en œuvre de la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes, ratifiée par le Vietnam en 1982. Bien que les Etats Parties à cette convention aient l’obligation de soumettre un rapport tous les deux ans, le Vietnam n’a remis au Comité qu’un rapport combinant les 5ème et 6ème rapports qui devaient être soumis depuis longtemps déjà. M. Ai a regretté que « vingt-cinq ans après la ratification par le Vietnam de la Convention, les femmes vietnamiennes ne sont toujours pas conscientes de leurs droits et libertés ».
Alors que le gouvernement vietnamien s’est largement engagé dans la protection légale des droits des femmes sur le papier, ces droits ne sont pas respectés en pratique, en particulier dans les domaines social, économique et politique. « Les violences domestiques, la traite des femmes et des jeunes filles, le problème grandissant du SIDA, les violations du droit à la reproduction sont des questions très sérieuses, mais elles ne sont fréquemment pas reconnues par les autorités ni n’entraînent de sanctions. Cela décourage les femmes à dénoncer les violations et envoie le message que ces formes de discriminations sont socialement acceptables au Vietnam ».
Il observe que la politique du Vietnam du Doi Moi — une libéralisation économique avec un régime politique autoritaire — a un impact particulièrement négatif pour les femmes. Les femmes vietnamiennes sont en effet exposées à de nouvelles formes de violence. De plus, l’abolition des financements de l’Etat pour l’éducation et la santé a considérablement pénalisé les femmes, en particulier dans les régions rurales où vivent 80% de la population.
Avec le Doi Moi, la traite des femmes pour leur exploitation sexuelle s’est développée de façon alarmante, exacerbée par le fossé béant entre riches et pauvres et par la corruption des fonctionnaires. Les réseaux de prostitution sont souvent organisés avec la connivence des cadres du Parti, de la police et de l’armée qui sont rarement poursuivis en justice. Selon les statistiques officielles, 70% des clients de la prostitution sont des fonctionnaires de l’Etat payant avec les caisses noires des agences gouvernementales. Le Vietnam a adopté, en 2003, l’Ordonnance 10/2003/PL-UBTVQH11 afin de sanctionner les employés de l’Etat qui requièrent les services des prostituées ou couvrent les réseaux de la prostitution. Cependant cette ordonnance ne prévoit que des sanctions administratives à la discrétion de la hiérarchie, et non des poursuites pénales. Les familles de ces fonctionnaires ne sont même pas informées de leur implication. Pour M. Ai, cette législation est « totalement inefficace » et « protége plus qu’elle ne punit » les cadres de l’Etat et du Parti.
Les prostituées, les droguées et les femmes atteintes par le SIDA sont classées comme des délinquantes responsables des « maux sociaux » et stigmatisées par le régime. Avant chaque événement international se déroulant au Vietnam (comme les Jeux Asiatiques en 2003 ou les Sommets de l’ASEM en 2004 et de l’APEC en novembre 2006), les autorités lancent des campagnes de « nettoyage des rues », jetant arbitrairement en détention les prostituées, les filles sans domicile fixe et les enfants des rues dans des « Centres de Protection Sociale » où leurs conditions de détention sont déplorables et où ils n’ont aucun recours judiciaire.
Des centaines de milliers de femmes et de filles vietnamiennes sont victimes de la traite des femmes, envoyées de force vers le Cambodge, la Chine, Macao, le Laos, la Malaisie, la Corée du Sud, Taiwan, la Birmanie, Singapour, la Thaïlande, la Russie ou la République Tchèque, et soumises à la servitude ou au travail forcé dans des conditions épouvantables. Par ailleurs, des femmes sont vendues dans les régions reculées de la Chine à des paysans pauvres qui achètent une « épouse » pour la partager dans tout le village. « Ces femmes sont traitées comme des animaux » a dénoncé M. Vo Van Ai, citant des reportages dans la presse officielle : « On coupe les tendons de filles qui tentent de s’enfuir pour les empêcher de marcher. Celles qui réussissent à s’échapper sont traumatisées et dérangées pour le reste de leur existence ».
Dans son contre-rapport, le Comité Vietnam pour la Défense des Droits de l’Homme a également mis en avant les protestations croissantes du mouvement dit des « victimes des injustices » (dan oan), composé en majorité de femmes des campagnes, qui se rassemblent dans le Parc Mai Xuan Thuong, à Hanoi. Chaque jour, des centaines de femmes expropriées manifestent pacifiquement dans le parc contre les abus de pouvoir, les confiscations des terres par l’Etat et autres injustices, cherchant désespérément à attirer l’attention du gouvernement pour obtenir des réponses à leurs doléances. La plupart du temps, elles sont battues et arrêtées par la police. Au lieu de tenter de résoudre leurs problèmes, le gouvernement vietnamien a adopté au mois de mars 2005 un décret 38 interdisant les manifestations devant les bâtiments publics. M. Ai a déclaré que le Comité Vietnam pour la Défense des Droits de l’Homme avait reçu des centaines d’appels à l’aide des « victimes des injustices », avec photos et force détails des cas.
« Le Vietnam prétend que la pauvreté et le fossé grandissant entre les revenus sont les principaux obstacles à l’égalité des sexes. Mais en fait, le véritable obstacle est l’Etat-Parti unique au Vietnam, avec son manque de transparence et de liberté politique, ainsi que le contrôle omniprésent du Parti Communiste du Vietnam », a dit M. Ai. Dans le Vietnam d’aujourd’hui, il n’y a pas de mouvement indépendant des femmes, ni syndicat libre, ni presse libre, ni même de justice indépendante. L’unique représentant des femmes vietnamiennes est l’Union des Femmes du Vietnam, une organisation para-gouvernementale contrôlée par le Parti Communiste.
M. Vo Van Ai a conclu en appelant le Vietnam à « initier des réformes politiques » et « à créer un climat de diversité et de pluralisme politique afin que toutes les femmes puissent participer au processus de développement social, économique, intellectuel et politique ». En particulier, il a appelé le gouvernement vietnamien à autoriser la création d’organisations non-gouvernementales des femmes véritablement indépendantes et de mouvements de la société civile, une presse libre et des syndicaux libres. De telles organisations offriraient des garde-fous contre les pratiques discriminatoires contre les femmes et des mécanismes alternatifs pour la protection des droits des femmes.
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